Le rapprochement Bruxelles-Brazzaville sourit aux entrepreneurs

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La réouverture d’une Ambassade de Belgique à Brazzaville en décembre dernier témoigne des relations paisibles et constructives qui unissent la Belgique et la République du Congo. Elle renforce aussi les perspectives des entrepreneurs et investisseurs belges sur le sol congolais.

Entretien avec M. l’Ambassadeur Frédéric Meurice, Chargé d’affaires en poste à Brazzaville.

Comment s’est déroulée la réouverture de l’Ambassade de Belgique à Brazzaville, et pourquoi avait-elle été fermée en 2015 ?

L’Ambassade de Belgique à Brazzaville avait été fermée pour des raisons budgétaires. Cette mesure avait frappé une vingtaine de missions diplomatiques belges à travers le monde, et n’était donc pas spécifique au Congo. On s’est cependant rendu compte que la fermeture à Brazzaville posait un certain nombre de désavantages, compte tenu notamment de la politique belge en Afrique centrale qui s’appuie de plus en plus sur des partenaires régionaux diversifiés, mais aussi des défis que pouvaient poser nos relations avec le Congo Kinshasa.
Par ailleurs, le rôle de la République du Congo en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs est devenu très significatif.

C’est dans ce contexte que M. le Ministre Reynders a décidé la réouverture d’une Ambassade en République du Congo, qui permettait de disposer d’un canal permanent de communication à Brazzaville.

Quel rôle va tenir l’Ambassade sur le territoire congolais ?

Pour l’instant, l’Ambassade est encore en phase d’installation. Jusqu’à nouvel ordre, elle n’assume pas de compétences consulaires, qui restent de la responsabilité de notre Ambassade à Kinshasa. Complémentairement, nous disposons de deux Consuls honoraires de Belgique à Brazzaville et à Pointe-Noire auxquels nos compatriotes peuvent s’adresser. Ils sont habilités à légaliser les documents établis par les Autorités congolaises. En revanche, l’Ambassade ne délivre pas de visas.

Notre travail se concentre sur le développement des relations politiques (coïncidant avec le siège de la Belgique au Conseil de sécurité) et économiques entre nos deux pays, la coopération militaire, la promotion des échanges culturels ou académiques, etc.

Et sur le plan de la coopération au développement ?

Faire de la République du Congo un pays partenaire de la coopération belge au développement n’est absolument pas à l’ordre du jour. Mais la forte présence d’Enabel à Kinshasa devrait inciter cet organisme à envisager l’extension de ses activités vers la République du Congo, en particulier en exécution de prestations pour tiers (l’UE par ex.). Pour le reste, le Ministère belge des Affaires Etrangères dispose de certaines lignes de crédit limitées qui pourraient tout à fait être utilisées de manière utile au Congo, dans le cadre de la consolidation de la paix.

Peut-on voir dans ce rapprochement un bon signe pour les investisseurs et entrepreneurs belges ?

Sur le plan économique, les relations entre la Belgique et le Congo ont jusqu’ici été significatives mais limitées. Des entreprises belges sont présentes dans le domaine portuaire, ferroviaire, douanier, hôtelier, touristique, des travaux publics, du génie civil, de l’environnement, etc. Souvent, il s’agit de niches discrètes mais importantes, dont peu de gens ont conscience qu’elles sont occupées par des entreprises belges.

L’histoire nous racontera la suite. Mais il est clair que l’Ambassade, en appui des instances régionales compétentes entend jouer son rôle en termes de diplomatie économique pour promouvoir et défendre les intérêts des firmes belges. C’est, je pense, une plus-value pour nos entreprises qui souhaitent être actives sur un marché congolais encore largement dépendant des pouvoirs publics.

La mission économique et commerciale de ce mois d’octobre constitue-t-elle un premier pas ?

Effectivement, cette mission économique et commerciale est appelée à jouer un rôle très important. Une quarantaine d’entreprises belges viendront à Brazzaville et à Pointe Noire pour prendre contact avec les réalités et les acteurs économiques congolais, pour évaluer les besoins du marché, les possibilités de partenariat, voire, à terme, les perspectives d’investissement. Et si la mission ne débouche pas immédiatement sur des contrats signés ou des partenariats importants, elle constitue un jalon indispensable pour l’établissement de relations futures solides et fructueuses.

Quelles sont les difficultés liées à l’environnement des affaires actuel au Congo ?

Parmi les difficultés, je citerais une certaine rigidité liée à une longue expérience communiste. En résulte une inadéquation de beaucoup de règles et de comportements face aux impératifs d’efficacité et de compétitivité économiques. L’économie est aussi marquée par l’omniprésence de l’Etat et la dépendance à son égard du secteur privé : en terme de travaux d’investissement (même à des fins productives), de travaux publics, de marchés de fournitures, l’Etat est souvent le seul acteur. Lorsque l’Etat dispose de moyens importants pour générer beaucoup de travaux et qu’il peut payer ses fournisseurs, c’est un peu la poule aux œufs d’or, mais lorsque l’Etat est en difficulté, cela se ressent en cascade sur le reste de l’économie.

L’économie congolaise est aussi peu diversifiée : elle se limite à l’exploitation des hydrocarbures et du bois et, dans une mesure encore modeste, au secteur minier avec très peu d’activités de transformation. Dans ces domaines les fournisseurs et sous-traitants ont parfois un rôle important à jouer, mais l’absence de réelles industries au Congo (à l’exception marginale des brasseries et de tentatives dans le secteur agro-industriel) handicape les acteurs intéressés par le marché congolais, qui doivent faire preuve d’imagination ! D’autant plus avec la présence de concurrents issus de pays face auxquels il est extrêmement compliqué de proposer des prix concurrentiels.

Face à ces handicaps, l’UE et les représentants des pays occidentaux interviennent régulièrement auprès des Autorités congolaises afin d’encourager et de faciliter les modifications d’attitude ou réglementaires nécessaires, ainsi que le respect de normes sociales et environnementales uniformes.

À l’inverse, quelles sont les perspectives et les développements positifs à tenir à l’œil ?

Après des années de conjoncture difficile, une reprise durable semble s’amorcer dans le secteur des hydrocarbures. Cela redonne une certaine marge de manœuvre aux pouvoirs publics. A cet égard, il est particulièrement bienvenu qu’elle coïncide avec la signature d’un accord avec le FMI. Cela permettra aux principaux bailleurs de fonds de reprendre leurs financements au profit du Congo, mais surtout impose au Congo plus de rigueur et de transparence budgétaire et financière.

C’est sur cette base – incluant un changement d’attitude et moins d’interventionnisme des pouvoirs publics – que le Congo pourra travailler à sa diversification économique. Le plan à mettre en œuvre sous les auspices du FMI prévoit également un remboursement partiel de la lourde dette intérieure qui permettra une relance partielle de l’économie. Au-delà du plan avec le FMI ou de l’embellie conjoncturelle du secteur pétrolier, on ressent aussi de la part des autorités une réelle volonté de sortir d’une simple économie de rente pour mettre en valeur un certain nombre d’atouts de manière proactive : c’est vrai en matière de politique de l’environnement, de l’énergie, du tourisme, de l’agro-industrie, etc.

Un conseil à donner aux hommes et femmes d’affaires qui voudraient se lancer ?

Rester réaliste ! Il faut avoir conscience des difficultés et de certains risques, mais aussi des possibilités. Visiter régulièrement le pays (ou être représenté sur place) pour y développer ses contacts et s’appuyer sur l’expertise locale. Prendre le temps de s’acclimater aux circonstances locales, essayer d’y créer des courants d’affaires, de nouer des partenariats et, à terme, si les choses fonctionnent bien, envisager des investissements ou l’ouverture de centres de production locaux. Et surtout, rester attentif au potentiel de secteurs comme ceux de l’environnement, des soins de santé, des énergies renouvelables, de la sous-traitance ou encore des services annexes au secteur pétrolier.