Le Kenya est la porte d’entrée de l’Afrique

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Un entretien avec son Excellence l’Ambassadeur Weru

Son Excellence l’ambassadeur Johnson Weru occupe actuellement le poste de chef de la Mission à l’ambassade du Kenya à Bruxelles auprès du Royaume de Belgique, du Grand Duché du Luxembourg et de l’Union européenne.

Son mandat implique la prise en compte des intérêts kényans au sens large. Cette mission est assurée en partenariat avec d’autres États membres du groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Johnson Weru est un diplomate de carrière, dévoué au service du Kenya depuis plus de vingt ans en travaillant pour le gouvernement de son pays ainsi qu’au sein d’agences internationales de développement en Afrique et en Europe.

Avant son affectation à Bruxelles, Son Excellence l’ambassadeur Weru avait déjà accumulé de longs et prestigieux états de services au Ministère des affaires étrangères, à Nairobi, où il a occupé le poste de directeur des affaires économiques et du commerce extérieur.  Ses responsabilités comprenaient la coordination et la mise sur pied de politiques aussi bien pour commerce bilatéral que pour le commerce multilatéral.  Il s’est également occupé des relations entre le Kenya et l’étranger, plus particulièrement les États partenaires du groupe ACP. Il bénéficie, dès lors, d’une grande expérience dans la finance et le commerce internationaux, dans l’art de la négociation ainsi que dans la gestion du secteur public et sa restructuration.

– Monsieur l’ambassadeur, quel est votre sentiment quand vous repensez au tout début de votre mission à Bruxelles ? 

– Permettez-moi tout d’abord de commencer par rappeler nos excellentes relations avec le CBL-ACP.

C’est une longue histoire qui a débuté par un déjeuner, un peu avant mon arrivée à Bruxelles, dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur belge alors en poste au Kenya, Son Excellence Bart Ouvry. Celui-ci m’a fait part de ce qu’il estimait être les priorités pour les relations entre le Kenya et la Belgique.

Peu après, quand je suis arrivé ici, j’avais une liste de noms qu’il m’avait donnée et, parmi ces noms, il y avait celui de M. Maurice Vermeersch. Par la suite, je fus aussi présenté à M.  Christian Verbrugghe qui est un homme d’affaires remarquable, actif en Afrique et au Kenya en particulier.  C’est par leur intermédiaire que j’ai été mis en contact avec l’organisation CBL-ACP qui, je l’appris très rapidement, avait pour objectif de faire se rencontrer les hommes d’affaires du Luxembourg et de la Belgique avec leurs homologues des ACP.

J’avais l’esprit très ouvert car j’avais auparavant occupé un poste très technique de directeur des Affaires économiques et du Commerce extérieur au Ministère des Affaires étrangères du Kenya La Belgique et Bruxelles n’étaient donc pas des endroits inconnus pour moi ; j’y avais déjà assisté à de nombreuses réunions.  J’avais donc une idée générale de ce que j’allais y trouver. À cela il faut ajouter le fait que mes prédécesseurs dans le département avaient, eux aussi, été nommés ambassadeurs à Bruxelles. Je pouvais donc m’appuyer sur un solide background en arrivant dans cette ville qui était devenue, depuis sept ou huit ans, une capitale incontournable dans le domaine de la diplomatie. Je crois que l’on peut dire qu’elle occupait déjà la deuxième place après Washington DC sur le plan des relations internationales.  C’est dans cet état d’esprit que je vins ici avec la ferme intention de profiter de tous les avantages que procure une telle communauté de diplomates, dans le but de développer les relations entre le Kenya et les États membres de l’Union européenne, et ce dans tous les domaines : politique, économique et international. Cela s’est très bien passé, voilà ce que je peux dire.

– Avec le recul, quels sont les éléments déterminants qui, selon vous, ont marqué les relations bilatérales entre la Belgique et le Kenya ?

– Une conférence internationale sur les investissements se tenait au Kenya en 2015. Cet événement coïncidait avec la visite dans ce pays d’une délégation commerciale organisée par FIT Vlaanderen (Flanders Investment and Trade Agency) mais coordonnée par ACP-CBL.  Je me suis arrangé pour que cette délégation puisse prendre part à la conférence comme si elle faisait partie d’une délégation internationale (statut normalement réservé aux délégations représentant un État (ndt)).

Ce fut le commencement. Nous organisons maintenant la prochaine mission économique au Kenya en novembre et décembre. Presque à la même date que cette première fois mais maintenant aussi dans d’autres pays : en Tanzanie, au Rwanda, en Ouganda et en Éthiopie. L’élément le plus important est le fait que nous avons pu parler avec les membres de ces entreprises en Belgique et au Luxembourg avant leur départ pour la mission. La première réunion de briefing se tient le 12 septembre, elle tourne autour des souhaits des participants, de leurs intentions et de ce qu’ils veulent que l’on sache d’eux. Ils assistent ensuite à une présentation du Kenya

Nous recherchons des « opportunités d’affaires », nous recherchons des investisseurs, nous recherchons des affaires à conclure et ils recherchent des affaires à conclure. Nos intérêts sont donc faits pour se rencontrer.

Le point culminant de ma mission a été la visite du Président Kenyatta en juin 2016. C’était formidable car il avait été invité par le CBL-ACP pour un dîner parfaitement organisé et pour lequel les participants avaient été idéalement choisis. Quand le Président entra dans la salle, il fut immédiatement surpris par le nombre impressionnant d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs présents. J’avais, de mon côté, invité des hommes d’affaires kényans, ce qui fait que nous nous retrouvions dans une proportion de six hommes d’affaires belges pour un homme d’affaires kényan. Près de 150 Belges et Européens en tout… ce qui a permis de dégager un grand nombre de projets pour des négociations à haut niveau.

– Pourriez-vous nous faire une rapide description des relations commerciales entre le Kenya et la Belgique ? 

– Nous avons pu observer une formidable amélioration dans les différents domaines commerciaux avec la Belgique. EN 2014, par exemple, nos exportations vers la Belgique son passées d’un volume de 6,1 millions de shillings kényans à un volume de 6,7 millions de shillings. Quant aux importations en provenance de Belgique, elles sont passées de 10,05% à 19,15%.  Nous sommes à la recherche d’une meilleure balance commerciale (il y a pour l’instant un grand déséquilibre en faveur de la Belgique) mais nos exportations ont augmenté ; cela est du à un environnement macro-économique que nous avons été capables d’installer dans notre pays.

Il ne faut pas oublier l’immense travail accompli avec la Banque européenne d’investissements (EIB en anglais, BEI en français) qui est le bras armé de la Commission européenne. Nous sommes actuellement le plus important client dans les pays ACP si l’on considère les portfolios de projets. Dans le cadre de nos projets, nous produisons maintenant 50 mégawatts d’énergie propre et nous en sommes très fiers. Beaucoup d’autres projets peuvent être mentionnés dans ce cadre de nos priorités qui, pour rappel, sont l’énergie, l’agriculture, la construction, la bonne gouvernance… Ils ont bu bénéficier de notre Fonds européen de développement (FED), tout comme des produits mixtes disponibles sur les marchés, plus particulièrement des produits mixtes de type prêts et subventions. Enfin, nous avons accueilli deux fois… que dis-je … trois fois le vice-président de la BEI à Nairobi.

– Monsieur l’ambassadeur, quels sont les conseils que vous donneriez aux entrepreneurs qui désirent travailler avec les Kényans ? 

– Il ne fait aucun doute que le Kenya est la porte d’entrée de l’Afrique. Si vous voulez avoir accès à ce continent, il n’y a pas d’autre entrée, que vous veniez d’Asie, d’Europe ou du continent américain. Presque toutes les compagnies aériennes internationales sont présentes à Nairobi et assurent des liaisons régulières avec le Kenya vers les quatre coins du monde.

Nous pensons que ceux qui veulent faire des affaires avec l’Afrique doivent ouvrir un bureau ici, cela leur permettra d’entrer en contact avec leurs cibles avec un maximum d’efficacité. N’oubliez pas que, nous aussi, nous  avons aussi un marché intérieur avec une forte demande. Le Kenya constitue l’économie la plus forte de l’Afrique de l’Est.  Les banques les plus renommées ont installé un bureau chez nous, à Nairobi ; vous pouvez toutes les trouver : Citibank, BNP Paribas et beaucoup d’autres encore. Nous sommes fiers d’avoir la deuxième plus importante Bourse d’Afrique chez nous, au Kenya. Sa capitalisation avoisine les 60 milliards de dollars américains.

Nous sommes, je crois, à la pointe de toutes sortes d’investissements de premier plan. Le Kenya est très présent dans les domaines des télécommunications, des infrastructures et des innovations dans les payements mobiles. C’est très à la mode de parler de l’Afrique mais peu de gens comprennent vraiment ce que cela représente. Avec le Kenya, vous pouvez toucher l’Afrique sub-saharienne et près de 800 millions de personnes. Préparez-vous à cela. Tous ces Africains veulent et sont prêts à faire des affaires, à être les acteurs d’un marché gigantesque.  Cela signifie que nous ne voulons pas nous contenter de n’être qu’un magasin général où les étrangers viendraient se servir. Nous voulons travailler activement à la création de ce marché, nous voulons en retirer notre bénéfice. Nous sommes en train de tout mettre en place pour produire des biens du début à la fin du processus, le tout dans le cadre des Accords de partenariat économique (APE)  que nous avons négociés avec l’Union européenne.  Nous avons clairement fait savoir que, malgré le fait que nous avions un accès – encadré certes – mais libre aux marchés européens, nous allions adopter des mesures pour protéger nos industries, que les conditions sont claires et que les accords de partenariat vont le permettre.

– En tant qu’ambassadeur, avez-vous une idée de ce que vous allez laisser après votre passage à ce poste ? 

– La dernière fois qu’un président du Kenya s’était rendu en visite au Royaume de Belgique, avant que je ne prenne mon poste ici, c’était à l’époque où son Excellence le Président Daniel Arap Moi était à la tête de l’État. Pour rappel, il a occupé ce poste de 1978 à 2002. Cette visite remonte aux années ’90.

Le fait que le Président Uhuru Kenyatta soit, depuis lors, venu deux fois en Belgique, en avril 2014 et en juin 2016 a été pour moi un grand honneur en tant qu’ambassadeur. À chacune de ses visites à Bruxelles, que ce soit pour une réunion de travail ou en visite officielle, il a eu l’occasion de rencontrer la diaspora kényane, les investisseurs et de s’adresser au monde entier à partir d’ici.  C’est un résultat dont je suis très fier …mais il n’y a pas que cela. J’ai aussi eu la chance d’être l’un des ambassadeur qui est parvenu à finaliser les Accords de partenariat économique (APE) entre les États membres de la Communauté d’Afrique de l’Est et l’Union européenne. Il s’agissait d’un accord commercial  très complexe et dont les enjeux étaient gigantesques. Nos capacités diplomatiques ont été mises à rude épreuve mais un accord a finalement été ratifié par le Parlement et acté avec le Conseil des ministres de l’UE le 28 septembre 2016. Cet événement ouvre la porte à des échanges commerciaux extrêmement prometteurs pour les trente prochaines années avec l’UE. Quand je suis rentré au pays, j’ai dit à mes compatriotes que c’était le plus beau cadeau que la diplomatie kényane pouvait leur offrir : du commerce avec l’étranger sans droits d’entrée.

Je voudrais aussi saluer Ivan Korsak, un formidable  attaché économique et commercial pour la Belgique et dire qu’il mériterait les félicitations de son gouvernement pour le travail qu’il a accompli. Il a travaillé avec intelligence pendant son séjour au Kenya.  Chaque fois que je rentre au pays, cela correspond à la fête de la Dynastie belge et je m’y rends toujours (à l’ambassade). J’ai vu comment M. Korsak organise ce genre d’événement, c’est d’une grande efficacité : les invités du monde de l’entreprise et des affaires sont plus nombreux que les invités du monde politique, c’est l’occasion de rencontrer beaucoup de gens extrêmement intéressants.  Grâce à lui, j’ai pu rencontrer de nombreux Belges actifs dans mon pays. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux. Beaucoup de vos compatriotes restent au Kenya pour son climat… mais surtout pour son environnement économique. Ils forment une communauté et, en cela, on peut dire que M. Korsak nous a été d’une grand aide. Chaque fois qu’il est de passage à Bruxelles, il vient aussi nous rendre visite.

Sur le plan personnel, je me suis fait à Bruxelles de nombreux amis au sens noble du terme. À l’ambassade, j’ai pu compter sur une équipe formidable et sur des diplomates qui m’ont toujours soutenu très efficacement. Nous avons toujours travaillé avec un esprit d’équipe et nous avons saisi toutes les occasions qui se présentaient pour accomplir notre mission.  Toutes les délégations qui se sont rendues au Kenya sont revenues avec d’excellents résultats, ouvrant la voie pour une collaboration très prometteuse. Mon successeur continuera sur cette voie… the sky is the limit.