Les incitants aux investissements privés en République du Cameroun

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Herman Lemaire et Luca Roscini – AB Legal

 

Dans le prolongement de la « Charte des investissements[1] » et pour lui donner l’élan requis, la République du Cameroun s’est parée, avec la loi n°2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement et ses textes d’application, d’un outil moderne et très ambitieux destiné à encourager l’investissement privé dans le but de pérenniser la croissance économique et la création de nouveaux emplois.

 

Nous en analysons succinctement ci-après les traits principaux pour dresser un premier bilan.

 

  1. Opérateurs éligibles

Les opérateurs éligibles aux incitations sont les personnes physiques ou morales, camerounaises ou étrangères, résidentes ou non-résidentes, déjà existantes ou non[2], qui projettent de réaliser, soit directement soit indirectement[3], des opérations visant à créer, étendre, renouveler, réaménager des actifs et/ou à transformer des activités.

Sont en revanche expressément exclus du champ d’application de la loi, les investissements dans les secteurs régis par des textes particuliers, notamment le secteur pétrolier amont, le secteur minier et le secteur gazier, ainsi que ceux qui s’inscrivent dans le régime général des contrats de partenariat[4].

  1. Les incitants communs

Les incitants accordés par la loi se déclinent par rapport à leur importance (communs ou spécifiques), à leur typologie (fiscale, douanière, financière et administrative) et à la phase à laquelle ils interviennent (installation ou exploitation).

 

Peuvent bénéficier des incitants communs les investisseurs qui (i) sont, en mesure de créer, en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activités, au moins un emploi par tranche de 5 à 25 millions de francs CFA d’investissements programmés ou (ii) réalisent annuellement des exportations à concurrence de 10 à 25 % du chiffre d’affaires hors taxes ou (iii) utilisent des ressources naturelles nationales à concurrence de 10 à 25 % de la valeur des intrants[5] ou (iv) contribuent à la valeur ajoutée[6] à concurrence de 10 à 30 % du chiffre d’affaires hors taxes.

 

Ces critères alternatifs doivent être remplis dans des délais spécifiques, susceptibles d’être prorogés en cas de force majeure ou de difficultés économiques avérées.

 

Les incitants communs sont d’abord de nature fiscale et douanière et visent les opérateurs en tant que tels aussi bien que les biens et services nécessaires à la réalisation de l’investissement programmé.

 

Pendant la «phase d’installation»[7], qui ne peut excéder cinq ans, les investisseurs bénéficient d’une série d’exonérations sur (i) les droits d’enregistrements relatifs aux actes des personnes morales, aux baux d’immeubles professionnels, aux contrats de fourniture de biens, de construction d’immeubles et installations, de concession (ii) la TVA relative aux prestations de services et livraisons de biens provenant de l’étranger (iii) les taxes et droits douaniers relatifs aux biens (iv) les droits de mutation relatifs à l’acquisition d’immeubles et terrains (v) la patente[8], ainsi que de la déduction d’un quota des frais d’assistance technique en fonction de l’investissement réalisé.

Pendant la «phase d’exploitation»[9], dont la durée est fixée en fonction de la taille des investissements et des retombées économiques attendues de ceux-ci sans pouvoir excéder dix ans, les investisseurs peuvent bénéficier, selon le cas, d’exemptions ou réductions sur (i) les taxes visant les opérations de devises, la consommation[10], les revenus, les paiements à des sociétés étrangères en rémunération des prestations fournies ou utilisées au Cameroun, (ii) les impôts sur les sociétés[11], sur les bénéfices, sur les revenus des capitaux mobiliers, (iii) les droits d’enregistrement relatifs aux prêts, emprunts, avances en compte courant, cautionnements, opérations afférentes au capital social (y compris la liquidation), transferts d’activités, droits de propriété ou de jouissance immobilière, baux ou actions ainsi que (iv) les droits de douane relatifs tant à l’importation d’équipements, matériaux de construction, pièces détachées, consommables etc. n’ayant pas d’équivalent fabriqué localement, qu’à l’exportation d’équipements de construction et d’usines de transformation et (v) autres charges notamment celles visant les sociétés de transformation ou le transport des produits issus de la transformation[12].

Aussi, les investisseurs peuvent bénéficier, au besoin, (i) du report des déficits jusqu’au cinquième exercice suivant celui de leur survenance (ii) de l’exemption de droits, taxes, et redevances de douane sur les importations de biens destinés à être affectés au programme d’investissement et (iii) d’un crédit d’impôt à condition de procéder à un minimum d’embauches, de lutter contre la pollution ou de développer des activités sportives, culturelles sociales ou d’intérêt public en zones rurales.

Notons que l’Etat peut exceptionnellement étendre contractuellement les exonérations décrites aux actionnaires, aux promoteurs et aux contractants locaux de l’investisseur, lorsque l’importance du projet le justifie.

Les incitants communs prévoient également des avantages financiers pour les investisseurs, tels le droit d’ouvrir et opérer tant au Cameroun qu’à l’étranger des comptes en monnaie locale et en devises, le droit d’encaisser, de conserver et de disposer librement à l’étranger des fonds, acquis ou empruntés à l’étranger, des recettes, dividendes et produits de capitaux investis, de la liquidation ou de la réalisation des avoirs, le droit de payer directement à l’étranger les fournisseurs non-résidents de biens et services, le droit de transférer librement les dividendes et le produit de la cession d’actions en cas de désinvestissement.

 

Sur le plan administratif, le personnel expatrié, employé par les investisseurs et résidant au Cameroun, jouit de la libre conversion et du transfert, vers le pays d’origine, de ses rémunérations nettes d’impôts et contributions. Des facilités sont prévues également pour l’obtention des visas, titres de séjour et permis de travail pour le personnel expatrié.

Des procédures simplifiées sont mises en place pour la délivrance des autorisations administratives qui peuvent désormais être obtenues auprès du guichet unique et pour la délivrance de certificats de conformité environnementale et des titres fonciers relatifs aux projets d’investissement.

Au terme de la période d’exemption, l’investisseur se retrouve d’office en situation de droit commun.

  1. Les incitants spécifiques

La loi du 18 avril 2013 prévoit également des incitants spécifiques pour les projets d’investissement permettant au gouvernement de poursuivre ses objectifs prioritaires et notamment le développement et la promotion de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage, du tourisme, du loisir, de l’économie sociale, de l’artisanat, du logement social, de certaines branches de l’industrie, de l’énergie, de l’eau, de la régionalisation et décentralisation, de la protection de l’environnement, des nouvelles technologies, de la recherche, des exportations, de l’emploi et formation.

 

Les investissements prioritaires bénéficient d’exonérations (sur la TVA applicable aux crédits relatifs au programme d’investissement et sur la taxe foncière sur les immeubles) et de régimes douaniers privilégiés (tels les admissions temporaires des biens susceptibles de réexportation, l’exonération du droit de sortie sur les produits manufacturés localement, le régime du perfectionnement actif[13]).

 

  1. Procédure d’obtention

Les investisseurs souhaitant bénéficier des incitants décrits ci-dessus doivent introduire un dossier[14] auprès du guichet unique afin d’obtenir, le cas échéant, l’agrément[15] du Ministre chargé des investissements privés, qui statue en principe dans les trois jours ouvrables à dater de l’avis conforme rendu dans les quinze jours ouvrables par le Ministre des finances. Passé ce délai et sauf rejet motivé à l’encontre duquel un recours peut être formé auprès du Comité de contrôle qui se prononce dans les quinze jours, l’agrément est réputé accordé.

 

L’agrément – qui définit notamment le programme d’investissement et arrête les avantages consentis au bénéficiaire ainsi que les modalités de contrôle et les sanctions en cas de non-respect des engagements pris – prend la forme d’une convention signée entre l’investisseur et le Ministre chargé des investissements privés.

Le Comité de Contrôle[16] est chargé, outre l’instruction des recours des investisseurs, du contrôle de l’effectivité des investissements, auquel l’investisseur doit se soumettre sous peine de sanctions.

C’est en effet en fonction des résultats du contrôle du Comité que l’investisseur bénéficie des incitants prévus ou que, au contraire, il subit des sanctions. Celles-ci, infligées moyennant mise en demeure formelle préalable, vont de l’avertissement à la suspension des incitants voire jusqu’à la dénonciation de l’acte d’agrément, ce qui entraine le retrait des avantages y prévus et le recouvrement des droits éludés assortis de pénalités.

  1. Règlement des litiges

La loi en question privilégie les modes alternatifs de règlement des différends commerciaux. Les investisseurs bénéficiaires des incitants doivent, en cas de différends, saisir préalablement le Comité de Contrôle, en vue d’un règlement à l’amiable pour ensuite pouvoir saisir une instance d’arbitrage reconnue par l’Etat.

 

  1. Stabilité – libre concurrence

L’Etat se porte fort de la stabilité des incitants octroyés aux investisseurs notamment par la mise en place d’un comité paritaire de suivi placé auprès du Premier Ministre, en liaison avec le Conseil de Régulation et de Compétitivité.

 

La libre concurrence des investisseurs est assurée par l’extension à tout opérateur du bénéfice de mesures plus favorables éventuellement accordées à une entreprise concurrente ou par l’interdiction de pénaliser, par le refus de délivrance de l’agrément, un investisseur en situation de concurrence lorsqu’il remplit les critères fixés par la loi.

 

  1. Conclusion

En dépit du manque de précision de quelques dispositions et de l’exclusion de son champ d’application de secteurs-clés qui suscitent pourtant l’intérêt des investisseurs internationaux, la loi analysée constitue assurément un outil moderne et ambitieux.

 

Le nombre d’avantages concédés par le législateur, la stabilité fiscale, l’optimisation des amortissements et des charges financières sont tous des déterminants primordiaux de l’investissement.

 

Mais bien que cette loi soit apte, du moins sur papier, à attirer l’investissement privé, ce dernier peine encore à décoller, nonobstant les potentialités offertes par le pays.

 

Les résultats atteints actuellement par l’application de la loi[17] ne sont pas à la hauteur des attentes de l’Etat.

 

Ce résultat en demi-teinte ne puise pas son origine dans l’inadéquation des textes légaux mais dans des insuffisances en matière de gouvernance, qui sont stigmatisées par le classement Doing Business[18].

 

Pour gagner son pari, le gouvernement devra continuer à déployer ses meilleurs efforts afin d’améliorer le climat général des affaires et gagner davantage la confiance des opérateurs internationaux.

[1] Loi n°2002/004 du 19 avril 2002 portant Charte des investissements en République du Cameroun, telle que successivement modifiée.

[2] Les facilités communes prévues par la loi pour la phase d’exploitation s’étendent en effet pendant une période n’excédant pas 5 ans, aux entreprises existantes, engagées dans un programme d’investissement visant l’augmentation de leurs capacités de production ou performances et le renouvellement de leurs actifs pour autant que l’augmentation de la performance ou du personnel employé atteigne une augmentation de 20%.

[3] Moyennant la prise de participation dans le capital de sociétés nationales.

[4] Ces textes particuliers prévoient d’autres avantages propres à ces domaines d’activités

[5] Les intrants sont définis par la loi comme les éléments utilisés dans la production d’un bien semi-fini ou fini (matières premières, main d’œuvre, etc.).

[6] La loi définit la valeur ajoutée comme la création ou accroissement de valeur apporté par l’entreprise aux biens et services en provenance de tiers dans l’exercice de ses activités professionnelles courantes. Elle est mesurée par la différence entre la production de la période, majorée de la marge brute sur marchandises, et les consommations de biens et services fournis par des tiers pour cette production.

[7] Il s’agit de la période consacrée à la construction et à l’aménagement des infrastructures et des équipements nécessaires à la mise en place d’une unité de production, calculée à partir de la date de délivrance de l’agrément.

[8] Il s’agit d’un impôt calculé sur la base du chiffre d’affaires et perçu au profit des communes, payable par toute personne physique ou morale exerçant une activité commerciale ou toute autre profession non comprise dans les exemptions déterminées par la loi fiscale.

[9] Il s’agit de la période consacrée à la réalisation effective des activités de production, qui débute a) pour les nouveaux investisseurs, d’office dès la fin de la phase d’installation ou avant la fin de celle-ci, dès la commercialisation ou la vente des produits tel que constaté par un arrêté conjoint des ministres en charge des investissements privés, des finances et du commerce; b) pour les entreprises déjà installées au Cameroun et réalisant de nouveaux investissements, dès la mise en service desdits investissements tel que constatée par un arrêté conjoint des ministres en charge des investissements privés, des finances et du commerce.

[10] dont la taxe spéciale sur les produits pétroliers.

[11] Les règles d’assiette et de recouvrement de l’impôt sur les sociétés sont celles prévues, en matière d’impôt sur les sociétés, par la législation comptable et fiscale en vigueur en République du Cameroun, sous réserve des dispositions contractuelles qui peuvent prévoir des règles d’amortissement et de provision particulières. Les mesurent visent également le minimum de perception.

[12] Nonobstant ces avantages, les investisseurs demeurent assujettis au paiement de redevances, impôts, taxes, droits et autres charges qui constituent des rémunérations de service.

[13] Importation de marchandises devant subir une transformation pour être ensuite réexportées.

[14] L’arrêté d’application n°004263/CAB/ MINMIDT du 03 juillet 2014 fixe la composition du dossier de demande d’agrément aux avantages prévus par la loi du 18 avril 2013.

[15] Institué par la Charte des Investissements.

[16] Créé par Décret n° 2013/298 du 9 septembre 2013 portant création, organisation et fonctionnement du Comité de Contrôle de l’Effectivité des Investissements.

[17] Entre la promulgation de la loi et le mois de juin 2016, près de 70 conventions ont été signées entre le gouvernement et des opérateurs privés, pour un investissement projeté total d’environ 890 milliards de francs CFA et la création de 30.000 nouveaux emplois (Données API, Mme Marthe Angéline Mindja, Investir au Cameroun, juin 2016).

[18] 166/190