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Au début de l’année 2011, la « crise ivoirienne » – doux euphémisme qui désigne la guerre civile larvée qui a longtemps divisé le pays en deux – a atteint son paroxysme avec les violences qui ont émaillé le scrutin présidentiel de fin 2010 mais a aussi sonné le retour à la stabilité politique dès l’année suivante. Très vite, le gouvernement ivoirien a choisi la voie du développement et signalé sa ferme intention d’atteindre « l’émergence » économique.

Cela s’est traduit en d’ambitieux plans quadri-annuels de développement (2011-2015 puis 2016-2020), qui ont imprimé une direction stratégique claire, désigné des secteurs d’investissement prioritaires et la part attendue des secteurs publics et privés dans ceux-ci. La commande publique, qui s’est fort concentrée sur la modernisation des infrastructures (principalement portuaires, de transport et de génération d’électricité) a joué un rôle critique mais, le secteur privé a aussi été considéré dès 2012 comme un élément important de la course vers l’émergence. La Côte d’Ivoire a donc initié un certain nombre de réformes pour courtiser l’investissement privé étranger, qui a répondu de façon très enthousiaste.

En conséquence, le pays a vécu une décennie dorée jusqu’à cette drôle d’année 2020 marquée par la crise sanitaire du covid et engrangé des taux de croissance parmi les plus élevés au monde, oscillant entre 10,7% en 2012 et 6,8% en 2019. Cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir, d’autant plus que le pays a prouvé sa résilience en maintenant une croissance positive en 2020 (qui tournera autour de 1,8%) et que les institutions financières internationales qui ont accompagné ce processus de croissance accélérée saluent la gestion responsable de sa dette et sa progression dans le classement « ease of doing business », qui sert de baromètre pour mesure l’attrait du climat des affaires.

Secteurs d’opportunité

Si la dernière décennie a fait la part belle aux infrastructures économiques, aujourd’hui c’est sur l’industrialisation que mise la Côte d’Ivoire. Malgré une certaine diversification vers l’industrie et les services, qui lui a notamment permis de maintenir le cap de la croissance économique malgré la chute de certains prix de commodités agricoles comme le cacao et l’hévéa (qui pèsent très lourd dans le panier des exportations ivoiriennes) le pays souhaite très clairement inviter les investisseurs à plus transformer les produits agricoles qui forment encore la base de son économie. La Côte d’Ivoire a beau être de loin le 1er producteur et exportateur de cacao, par exemple, il n’en transforme encore que 30% des fèves produites par ses planteurs. Il en va de même pour l’hévéa, la noix de cajou, le café, le coton, le karité, les fruits tropicaux comme la mangue ou l’ananas, et même l’huile de palme, tous produits majeurs de l’agriculture ivoirienne mais qui bénéficient de faibles taux de transformation industrielle.

En anticipation de ce ‘boost’ industriel, la Côte d’Ivoire mise aussi sur l’augmentation significative de sa production électrique. Alors qu’elle produit 2000 MW d’électricité (principalement, à travers deux usines thermiques à gaz) et est un exportateur net d’électricité vers ses voisins, la Côte d’Ivoire a annoncé son ambition d’atteindre les 4000 MW d’ici à quelques années. Etant donné ses engagements environnementaux pris à la COP, cela signifie que les technologies renouvelables de génération d’électricité, jusqu’à présent relativement négligées, devraient devenir un vrai terrain d’opportunité. La finalisation d’un barrage hydroélectrique et la négociation – longue mais finalement fructueuse – d’un accord avec un producteur indépendant d’électricité à partir de biomasse (65 MW) ont montré la voie.

Le gouvernement semble aussi avoir compris qu’une concentration trop forte sur les infrastructures économiques a donné l’impression à la population qu’il négligeait les infrastructures sociales. Preuve en est que malgré une belle progression économique le pays affiche encore des indicateurs de développement sociaux indignes d’un pays émergeant. Des chantiers ont été amorcés pour améliorer l’électrification rurale, l’approvisionnement des populations en eau potable, l’accès aux soins de santé et même l’éducation, du scolaire à la formation technique et professionnelle. Ces investissements devraient se poursuivre et même s’intensifier au cours des années à venir. Ce sont donc autant de secteurs qui continueront à regorger d’opportunités pour les entreprises qui s’y intéresseront.

La croissance économique ivoirienne a facilité l’émergence, même timide, d’une classe moyenne qui s’affermit de plus en plus. L’argument qui fait de l’Afrique un « continent d’avenir » de par la jeunesse de sa population et l’amélioration de son pouvoir d’achat, au fur et à mesure qu’elle s’extrait de la pauvreté, résonne fort dans ce pays de 26 millions d’habitants – qui dessert d’ailleurs aussi un hinterland pas connecté à la mer (le Mali, le Burkina Faso, etc.). Les consommateurs ivoiriens deviennent de plus en plus sophistiqués et exigent de plus en plus de produits et services qui vont entraîner une cascade d’opportunités commerciales que cela vaut la peine de tenir à l’œil.

Participation des entreprises belges

Dans tous les secteurs que j’ai mentionné ci-dessus, des entreprises belges ont déjà saisi des opportunités et contribué à faire de notre pays le deuxième fournisseur, le deuxième client et le deuxième investisseur européen de la Côte d’Ivoire derrière la France. Besix a finalisé la construction de la plus grande usine de traitement d’eau potable d’Afrique de l’Ouest, au nord d’Abidjan, entame bientôt la construction de la plus haute tour d’Afrique, au cœur du quartier des affaires, et participe à la construction du futur centre d’expositions à côté de l’aéroport, avec son partenaire ivoirien PFO. Tractebel participe depuis de nombreuses années à l’expansion du réseau électrique ivoirien, dont l’interconnexion avec ses pays voisins. ABC Contracting est active dans l’électrification rurale. Sea Invest est un pilier important de la logistique portuaire puisqu’il gère tout le trafic de vrac à l’import et à l’export. John Cockerill, qui s’est installé en Côte d’Ivoire à la suite de la mission princière de 2017, fournit des services de maintenance industrielle, entame la construction d’une usine de traitement d’eau et exécute plusieurs chantiers de construction d’échangeurs et de ponts. Sotrad Water, avec son partenaire Estia Synergie, a fourni des centaines de petites unités de pompage et de traitement d’eau dans des villages ivoiriens. ASPAC travaille à la modernisation du réseau d’assainissement d’un quartier d’Abidjan. Les spécialistes de l’agriculture tropicale que sont SocFin et SIAT gèrent tous deux des plantations industrielles d’hévéa et d’huile de palme et transforment leur production. SIPEF produit quant à elle des bananes et des fleurs. Puratos enfin illustre bien la foi que j’ai mentionnée dans les consommateurs ouest-africains puisqu’ils ont fait le pari de construire une usine d’intrants de boulangerie et de chocolat, un produit de luxe paradoxalement fort peu consommé dans le pays du cacao pour l’instant mais qui pourrait symboliser l’aspiration future des classes moyennes. Bien sûr, je ne mentionne qu’un faible échantillon d’entreprises belges actives commercialement ou en tant qu’investisseurs en Côte d’Ivoire.

Atouts et faiblesses

J’ai mentionné l’approche libérale et pro-investissement étranger du gouvernement qui, combiné à une stratégie claire de développement, a contribué à attirer les entreprises. La stabilité monétaire est aussi un atout important de la Côte d’Ivoire. Même si le Franc des Communautés Financières d’Afrique (FCFA ou XOF), la monnaie unique qui circule dans tous les pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), a été remise en question récemment, les changements qui ont été annoncés conjointement par les présidents Macron et Ouattara en 2019 n’ont pas altéré ce qu’offre cette monnaie, soit une convertibilité parfaite avec l’euro, l’absence d’entrave au rapatriement des capitaux et la garantie d’une inflation faible et maîtrisée.

D’un point de vue commercial, l’entrée en vigueur de l’Accord de Partenariat Economique intérimaire (APEi) en 2019 devrait fortement et positivement impacter les relations entre les pays membres de l’Union Européenne et la Côte d’Ivoire. En effet, l’APEi prévoit non seulement l’abattement de tous les droits de douane pour les produits importés depuis l’UE d’ici à 2025 (hormis quelques catégories exemptes) mais fournit aussi un cadre de dialogue permanent très utile à l’anticipation et la résolution d’éventuels différends. Grâce à l’APEi, les produits belges deviennent donc plus compétitifs face à leurs concurrents non-européens.

Malgré tous ces points positifs, il reste des ombres au tableau. Une grande partie de l’économie étant encore informelle et sous-bancarisée, l’assiette fiscale de la Côte d’Ivoire reste étroite et il n’est pas rare d’entendre nos entreprises se plaindre de zèle de la part des autorités de contrôle des impôts. La gouvernance, les retards de paiement dans le cadre de contrats publics, l’absence de cadastres fonciers, que ça soit dans les zones rurales ou urbaines, sont aussi des écueils qui doivent être navigués. La Côte d’Ivoire fait figure de bonne élève comparé à nombre de ses voisins dans ces domaines mais il n’empêche que faire des affaires ici requiert un vrai investissement en relations humaines et en temps, une patience à toute épreuve et le luxe de pouvoir miser sur le moyen ou le long terme plutôt que sur les résultats immédiats.