DROIT FONCIER en Afrique : état des lieux et défis

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Un jeune couple achète un bien immobilier à une succession comprenant 12 héritiers. Peu de temps après, alors que le jeune couple a entièrement clôturé son lot par un imposant mur en béton de 2m60 de haut, un huissier de justice se présente signifiant une ordonnance du tribunal rendue en faveur d’un… 13ème héritier imposant d’arrêter sur le champ les travaux de construction. De plus l’huissier badigeonne sur le mur d’enceinte l’inscription selon laquelle il s’agit d’un « bien litigieux ».

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Une importante société étrangère acquiert en toute légalité et après étude approfondie un immeuble de bureaux de 10 étages et obtient son certificat d’enregistrement faisant foi de la propriété acquise. Cette société reçoit par la suite une citation en justice lui ordonnant de déguerpir sous peine d’astreinte très élevée et d’une expulsion et ce sur base d’un certificat d’enregistrement antérieur.

Ces deux exemples ne sont que l’illustration de ce qui se passe régulièrement dans de nombreux pays africains avec un constat : le droit de propriété immobilière témoigne d’une insécurité juridique inquiétante. C’est tellement vrai que les statistiques démontrent que 80% à 85% des affaires qui font l’objet de recours devant les tribunaux relèvent des « conflits fonciers ». La conséquence en est en premier lieu un coût fort important pour le budget du Ministère de la Justice vu que les tribunaux traitent plusieurs milliers de dossiers par an consacrés uniquement à ces conflits fonciers. Cela entraîne également pour les justiciables victimes de ces conflits des coûts importants en frais de justice : avocats, huissiers de justice, experts et autres.

Mais il ne faut pas se leurrer : Dans le premier exemple du jeune couple – cas vécu – le 13e héritier avait préparé son coup qu’il renouvelle régulièrement faisant comprendre qu’à défaut de « transaction » il poursuivra l’expulsion et qu’il a l’assurance déjà acquise que le tribunal lui donnera raison…

Dans le second exemple, le certificat d’enregistrement produit par le tiers est un faux : pas un faux « grossier » mais un faux qui est plus vrai que le vrai certificat, les techniques actuelles permettant ce genre de procédé.

Quelles leçons tirer de ces situations désastreuses ?

L’on ne peut nier qu’il y a une insécurité juridique préjudiciable notamment aux investisseurs tant nationaux qu’étrangers. Plusieurs ministres africains – qu’ils soient ministre des affaires foncières ou de l’habitat et de l’urbanisme – sont prêts à entreprendre les réformes qui s’imposent mais celles-ci tardent à se réaliser. Et en fait y a-t-il vraiment une volonté politique d’entrer dans un processus de rigueur absolue et d’une sécurité à toute épreuve ? En effet, les tribunaux verront théoriquement leur activité réduite entre 15 et 20 %, les cabinets d’avocats spécialistes des conflits fonciers fermeront leur porte faute de clients. Mais par contre le pays qui entreprendra courageusement cette réforme du droit foncier sortira grandi et sera en mesure de rassurer les investisseurs qui ont en point de mire la sécurité juridique et la stabilité du pays dans lequel ils investissent.

Nous n’avons pas la prétention, dans cette courte intervention, d’apporter une solution définitive au problème foncier rencontré dans nombre d’états africains. Nous émettons cependant certaines réflexions générales :

La plupart des états africains auront à résoudre un problème très sensible en ce qui concerne les « chefs de tribu » : le droit coutumier est encore fort ancré et il faudra beaucoup de diplomatie pour ne pas entrer en conflit avec les chefs coutumiers alors qu’une modernisation du droit foncier « applicable à tous » s’impose.

Les constructions anarchiques se développent rapidement plus particulièrement dans les banlieues des villes. La mise en place d’un cadastre moderne et numérisé est un défi qu’il faut relever et qui permettra d’harmoniser certaines capitales et villes qui ont trop vite grandi sans aucun encadrement.

La réforme du notariat est inéluctable dans certains pays : est-il compatible d’avoir un seul notaire – fonctionnaire de l’état – pour des villes de plus de 10 millions d’habitants ? Le notaire doit être proche du citoyen et celui-ci doit avoir la liberté de le choisir.

Le point capital de toute réforme concerne le « titre de propriété », qu’il s’appelle certificat d’enregistrement ou autre, l’objectif est de rendre ce titre de propriété infalsifiable et que toute mutation réponde à des critères et à une procédure bien précis. Il peut s’agir d’un double contrôle sous forme de deux organismes différents. Il nous paraît que la responsabilité des notaires dans les transactions immobilières devrait être renforcée et d’imposer que chacune des parties ait son propre notaire.

Pourquoi ne pas prévoir un modèle de compromis de vente et d’acte de vente reprenant obligatoirement toutes les données – références cadastrales, servitudes, hypothèques éventuelles – afin d’informer correctement l’acheteur.

De plus, une clause d’arbitrage obligatoire pourrait être imposée et ce dans le but de désengorger définitivement les tribunaux, d’accélérer la procédure en la simplifiant. Cela supposerait la création d’un Tribunal Arbitral indépendant et rigoureux par exemple au sein de la Chambre de Commerce.

Il nous vient une idée à la clôture de cet article.

16 pays africains, rejoints depuis lors par la République Démocratique du Congo, ont mis au point un droit des affaires commun : l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires). C’est un instrument juridique remarquable qui facilite la vie aux investisseurs et qui permet d’avoir le même droit des sociétés, droit comptable etc… dans les 17 pays adhérents.
Nous saluons d’autant plus cette initiative née en 1993 que l’Europe s’est révélée incapable de réaliser une telle avancée, la preuve en étant que la nouvelle forme de société lancée en 2004, la S.E. (Société Européenne) constitue un amalgame de dispositions peu harmonieuses où l’on perçoit clairement le rôle prépondérant de grandes puissances européennes voulant imposer leurs règles au détriment de règles communes.

Bref, la S.E. n’a pratiquement aucun succès : 23 sociétés créées en France en 10 ans.

Après cette réussite de la mise en place de l’OHADA, est-il utopiste de songer à une HARMONISATION des règles de droit foncier tout en sauvegardant les prérogatives de chaque état sur un certain nombre de règles relevant de la puissance publique ou de règlement touchant au secteur minier ou agricole.

L’avenir nous dira si une telle initiative peut être envisagée et en attendant nous serons très attentifs aux nouveaux Codes Fonciers en préparation.


Michel LION

Avocat au Barreau de Bruxelles

simbatogo@gmail.com – simbacongo@gmail.com

Remarque : nous avons expressément évité de citer tel ou tel État africain pour rester dans la sphère du droit foncier africain en général