L'Angola a besoin de temps

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Interview de MM. Mario PALHARES (*) et Joaquim NUNES (**), respectivement Président – Fondateur et Administrateur-Exécutif de la BANCO DE NEGÓCIOS INTERNACIONAL (BNI)

IMG_1254(*) Mario PALHARES est un des banquiers les plus connus et respectés en Angola. Il a été successivement Vice-Gouverneur de la Banque Centrale (BNA) et Président de la Banco BAI, une des premières banques commerciales du pays. En 2006, il quitte cette banque pour fonder la BNI dont il est l’actionnaire de référence.

(**) Joaquim NUNES est lui aussi bien connu dans le cénacle bancaire angolais. Economiste de formation, il a travaillé plusieurs années à la BNA. Avant de rejoindre la BNI en 2009, il a œuvré au sein de banque portugaise EFISA en qualité d’administrateur.


DR/ Tout au long de ces deux jours de conférence[1], on n’a cessé de parler de la crise mondiale et tout particulièrement de celle touchant les pays émergents producteurs de pétrole. Peut-on dire que la crise frappant actuellement l’Angola est seulement due à l’effondrement du cours du brut ?

MP/ La crise traversée actuellement par l’Angola est incontestablement le résultat de la chute brutale et rapide du prix du pétrole. Elle a freiné ses investissements et les résultats escomptés en termes de développement. Mais ne nous voilons pas la face. La crise aurait été moins dure pour l’économie nationale et la population angolaise si les décisions drastiques adoptées aujourd’hui l’avaient été auparavant de manière progressive. Mais comme vous le savez, nous avons hérité d’une tâche de reconstruction énorme au sortir de la guerre civile en 2002. Ceci peut expliquer cela.

JN/ Nous n’avons pas assez profité du prix élevé du pétrole et des revenus que cela nous procurait pour diversifier notre économie. Et une telle politique ne se met pas en place en un claquement de doigts. La diversification d’une économie prend obligatoirement du temps, je dirais dix ans au minimum.

DR/ Dois-je comprendre que l’Angola a perdu la chance historique d’assurer son développement et que les lendemains seront très difficiles ?

MP/ Il n’est jamais trop tard pour agir et nous pensons que les actions entreprises par le gouvernement sont appropriées, tant dans la recherche de l’équilibre entre l’offre et la demande de devises qu’au niveau des mesures définies récemment dans le mémorandum pour « une sortie de crise ».[2] Face à la crise mondiale, n’oublions pas cette dimension, le gouvernement angolais tente de diversifier son économie en mettant l’accent sur l’agriculture et l’industrie alimentaire. Mais nous sommes bien conscients que la mission n’est pas facile car nous sommes confrontés à un certain nombre de contraintes telles que le manque de main d’œuvre qualifiée et la pénurie de devises étrangères qui freine naturellement l’importation des biens indispensables pour assurer cette diversification (engrais, machines agricoles…). Ces contraintes peuvent aussi expliquer pourquoi la politique de diversification a pris du retard.

JN/ L’accès à l’énergie est également une contrainte importante et un frein au développement. Nos industries ne peuvent pas être compétitives si elles doivent travailler avec des générateurs. L’accès à des sources d’énergie stables et peu coûteuses est indispensable.

DR/ Comment financer ce développement ?

JN/ L’Angola a besoin de fonds à long terme et d’investisseurs qui se projettent dans l’avenir du pays. La manne pétrolière a occulté ce besoin. L’argent était disponible et beaucoup d’opérateurs étrangers ne pensaient qu’à court terme. La crise actuelle changera impérativement la perspective, pour le bien du pays.

MP/ Il appartient aussi à notre pays de mettre en place des conditions attractives pour l’investissement en offrant des facilités fiscales et administratives. La nouvelle loi sur l’investissement de septembre 2015 est un pas dans le bon sens.

DR/ En parlant d’investissement à long terme on pense automatiquement à la Chine. A l’occasion du dernier voyage du président José Eduardo Dos Santos, on a ainsi parlé de la possibilité de nouveaux financements reposant sur la concession de terres agricoles. Est-ce que l’avenir de l’Angola se traduira par « encore plus de Chine » ?

MP/ La Chine est un partenaire de première importance qui a contribué d’une manière significative au développement de notre pays. On a lu effectivement un certain nombre de choses à la suite du voyage présidentiel. Mais rien de concret ne s’est encore traduit.

JN/ Beaucoup de questions sont toujours sans réponses. Les lignes de crédit chinoises sont-elles encore disponibles ? La Chine est-elle encore intéressée de travailler sous forme de « barter » (financement contre ressources minérales…) ? Le souhaite-t-elle encore par rapport au développement de sa propre économie nationale ? Pour ma part, un élément important est l’entrée prochaine du renminbi (ou yuan) dans le panier des devises de réserves du FMI. Cela va permettre une utilisation beaucoup plus large de cette devise dans les échanges commerciaux.

DR/ A cet égard, on a parlé également de la convertibilité entre le renminbi et le kwanza angolais.

JN/ On en a parlé en effet mais il n’y a rien de concret. Nous ne sommes qu’au niveau des intentions et son application éventuelle dépend de beaucoup de facteurs. L’exemple namibien nous a appris la prudence[3].

MP/ Cette problématique doit être étudiée avec beaucoup d’attention car au final vous ajoutez une dépendance financière à une dépendance économique.

DR/ L’Europe a-t-elle encore sa place dans l’avenir de l’Angola ?

MP/ Incontestablement, mais c’est aussi une question de positionnement stratégique de la part des Européens. Et nous savons que les pays de cette zone doivent aussi faire face à d’importants défis, notamment en matière de déficits.

JN/ La stratégie européenne n’est pas claire. C’est davantage une superposition d’approches nationales. Beaucoup de délégations nous visitent mais chacune ne fait que promouvoir ses industries nationales et ses propres intérêts alimentant une logique de compétition sur le terrain. L’Europe est affaiblie parce qu’elle ne parle pas d’une seule voix contrairement à la Chine par exemple.

DR/ Vous incitez-nous à copier les Chinois ?

MP/ Jusqu’à un certain point, oui. Les Européens doivent apprendre à offrir des « packages » globaux en matière d’investissement et s’inspirer de la vision à long terme de l’Empire du milieu. La patience chinoise a bien des vertus. Et cela tombe bien car l’Angola a besoin de temps pour se construire.

JN/ Les Européens comme d’autres doivent s’adapter au nouvel environnement de l’Angola. Nous sommes un pays en crise et notre marché ne peut plus être appréhendé comme il l’était il y a dix-huit mois. Vous devez désormais l’aborder avec une vision à long terme et dégager les politiques en rapport avec ces nouvelles réalités. Le pays bénéficie d’une population jeune qui aspire à être formée et à augmenter son niveau de vie. Il offre des remarquables possibilités en termes de marché de consommation tout en bénéficiant de potentialités minérales et agricoles énormes.

MP/ L’Angola doit désormais être abordé différemment. Et l’Europe dispose de par son histoire et son savoir-faire de tous les atouts pour répondre à nos nouveaux défis.

 

Propos recueillis par Daniel Ribant

Président d’EFFA aisbl

Responsable Section Angola – CBL-ACP

 

[1] L’interview a été accordée à l’occasion de la VII° Conférence annuelle organisée par l’International Finance Corporation (IFC) à Milan (16-18 février 2016) dans le cadre de son Global Trade Finance Program.

[2] “Memorando sobre as as linhas mestras para a definição de uma estratégia para a saida da crise” explicité par ailleurs.

[3] En septembre 2014, les banques centrales angolaise et namibienne avaient conclu un accord de conversion de leurs devises respectives pour les résidents des zones frontalières. La mise en place de cet accord visant à faciliter le paiement de marchandises a posé de nombreux problèmes dans la mesure où il a été utilisé en dehors du cadre prévu. Un nouveau mécanisme a dû être mis en place en décembre 2015.