Interview exclusive avec le nouvel Ambassadeur de la République du Rwanda en Belgique – S.E. DIEUDONNÉ SEBASHONGORE

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Depuis la période d’urgence et de redressement qui a suivi le génocide des Tutsis en 1994, le Rwanda a réalisé des progrès socio-économiques substantiels, avec l’un des taux de croissance les plus rapides au monde, associés à d’importants progrès en matière de réduction de la pauvreté. La croissance dans tous les secteurs a été positive et résistante face au ralentissement de l’économie mondiale. Des signes de transformation socio-économique sont apparus alors que l’essentiel de la main-d’œuvre du pays est passée de l’agriculture aux secteurs des technologies de l’information et de la communication, des services et de l’industrie.

S.E. DIEUDONNÉ SEBASHONGORE

1. Excellence, comment présenteriez-vous le Rwanda d’un point de vue économique ? 

Avant de parler du Rwanda d’aujourd’hui,
il est important d’expliquer d’où nous venons. Permettez-moi de commencer par un aperçu de l’économie juste avant le génocide,
en fournissant quelques chiffres relatifs à la période entre 1985 et 1993 : la croissance moyenne était de 2,2 % ; l’inflation était de 64 % et le taux de pauvreté de 78 %.     

Ensuite, il y a le génocide contre les Tutsis de 1994, avec la perte de plus d’un million de vies. En juillet 1994, à la fin du génocide,
la situation était chaotique : le tissu socio-économique détruit et les infrastructures délabrées ; la Banque Nationale du Rwanda était vide, un grand nombre de personnes avaient été déplacées et nous faisions face à un énorme problème d’insécurité.    

Pour restaurer notre marché et transformer notre économie, nous avons dû travailler sans relâche et avons fait en sorte que l’ensemble du pays soit sécurisé. Nous savions que c’était la condition sine qua non pour relancer notre économie et permettre à notre secteur privé de fonctionner. Notre deuxième priorité était de lutter contre la corruption avec une politique de tolérance zéro. Notre dernière priorité, mais non la moindre, était d’engager de profondes réformes pour optimiser l’environnement des affaires afin d’attirer les investisseurs et donc réduire notre dépendance
à l’égard de l’aide.      

Pour ce faire, nous avons procédé à quatre réformes essentielles : nous avons accéléré les procédures d’enregistrement des entreprises (aujourd’hui, enregistrer une entreprise ne prend que 6 heures et tout se fait en un seul lieu). Nous utilisons la technologie pour accélérer l’enregistrement des biens et l’exécution des contrats. Nous avons facilité les échanges transfrontaliers.

En conséquence, le Rwanda est désormais compétitif au niveau mondial en ce qui concerne la facilité de faire des affaires et a été classé par la Banque Mondiale comme étant le 2ème pays le plus favorable pour faire des affaires en Afrique ; le 38e au niveau mondial et le meilleur réformateur de tous les temps, en passant du 150e rang en 2008 au 38e en 2020.     

La transformation de notre économie est évidente et les chiffres montrent que nous sommes passés d’une économie à faible revenu fondée sur l’activité agricole à une économie de services basée sur le savoir qui représente près de la moitié de la production économique – objectif que nous nous étions fixés dans la vision 2020. La croissance du PIB est aujourd’hui 5,3 fois plus importante (9,1 milliards de $) qu’en 2005 (1,7 milliard $). Avec un PIB par habitant actuellement estimé à 774 $, le Rwanda aspire désormais à atteindre le statut de pays à revenu moyen d’ici 2035 et le statut de pays à revenu élevé d’ici 2050. 

2. Comment décririez-vous les relations bilatérales entre la Belgique et le Rwanda ?

Ce sont des relations que je qualifierais d’historiques et de longue durée. Certes, nous avons eu des hauts et des bas, mais ces dernières années indiquent une volonté de renforcer nos relations en mettant l’accent sur le commerce et l’investissement.

En effet, la promotion de la coopération économique figure en tête des programmes de coopération bilatérale. Selon les statistiques du RDB (Rwanda Developement Board),
la Belgique fait partie des cinq premiers pays européens dont les investissements engagés au Rwanda ont la plus grande valeur ajoutée qualitative. La valeur totale des investissements enregistrés par la Belgique équivaut à 102,8 millions de dollars, ce qui devrait permettre de créer un total de 1 122 emplois. Les secteurs clés sont l’agroalimentaire,
le tourisme, les services, l’énergie et les mines.   

Au cours des deux dernières années, d’importantes missions économiques belges (plus de 52 entreprises) ont visité le Rwanda et une nouvelle mission était prévue au Rwanda en novembre de cette année.   

Enfin, si nous nous réjouissons de la présence d’entreprises belges comme le groupe brassicole Skoll et récemment la société d’intelligence artificielle, ZoraBots, qui produit notamment des robots humanoïdes, nous espérons en voir d’avantage dans les années à venir.

3. Quels sont les secteurs clés dans lesquels vous conseilleriez aux investisseurs belges d’investir au Rwanda ?

Dans la Vision 2050 et plus précisément la stratégie nationale de transformation, cinq secteurs ont été identifiés comme prioritaires, sur la base de leur fort potentiel de croissance ainsi que de l’impact qu’ils auront sur l’économie une fois qu’ils seront plus développés.
Il s’agit des technologies de l’information et de la communication et de l’externalisation des affaires, du tourisme et de la conservation, de la logistique, du secteur financier
et du système de santé. D’autres possibilités sont offertes par l’exploitation minière, la valeur dans le secteur agricole associée au développement des exportations ainsi que par le secteur dynamique de la construction qui est le principal contributeur aux recettes fiscales du pays.

4. Votre ambassade est le premier point de contact pour les Belges qui sont ici. Comment les aidez-vous ? Y a-t-il d’autres agences avec lesquelles il est important d’être en contact ?

Nous faisons trois choses pour les aider.
Tout d’abord, nous recevons les investisseurs potentiels pour comprendre au mieux leurs projets. Ensuite, nous les conseillons afin d’adapter au mieux leurs projets à la réalité de notre marché. Enfin, nous les orientons vers les institutions compétentes sur place et sommes à leur disposition tout au long de chacune des étapes menant au lancement de leurs activités au Rwanda. 

L’agence par excellence est le Rwanda Development Board (RDB). Il s’agit d’une institution gouvernementale dont le mandat est d’accélérer le développement économique du Rwanda en permettant la croissance du secteur privé.

Cette agence a été créée en 2008 à partir d’une fusion de 8 institutions gouvernementales, principalement pour créer un guichet unique pour les affaires et les investissements. Actuellement, les principaux services du RDB sont les suivants : promotion des investissements, développement des exportations et des zones économiques spéciales, négociation des accords d’investissement, tourisme et conservation, développement des compétences et services de guichet unique (enregistrement des entreprises et des investissements, facilitation des visas, gestion des incitants fiscaux, etc.)

5. Quels sont vos objectifs/projets en tant que nouvel Ambassadeur ?

Je résumerais mes objectifs dans les trois points suivants : 

Premièrement, mon équipe et moi aimerions arriver à démontrer pourquoi le Rwanda serait une destination d’investissement pour les entreprises belges. La transformation économique de notre marché demande à être connue de tous et en particulier en Belgique.

Deuxièmement, au-delà des chiffres qui montrent l’attractivité de notre économie, nous souhaitons pouvoir aussi présenter la capacité de nos ressources humaines qui est notre “bien” le plus précieux. Ainsi, il nous sera important de faire comprende à de potentiels investisseurs la qualité de notre main d’œuvre de mieux en mieux formée avec la présence à Kigali d’universités de renom comme la Carnegie Mellon University, l’African Mathematic and le Science Institut, l’African Leadership University ou encore le nombre croissant de centres de formation dans l’enseignement technique et professionnel avec par exemple dans l’hôtellerie, la présence du groupe Vattel. De plus, l’ADN des rwandais est aussi marqué par l’héritage de notre histoire tragique et se manifeste dans notre force de travail par la résilience, la volonté de s’en sortir ou la détermination à vouloir y arriver mais surtout la volonté de réussir
coûte que coûte.

Enfin, nous nous efforcerons d’interpréter au mieux les besoins d’investissement du Rwanda avec les souhaits et qualités des investisseurs belges. 

6. Y a-t-il un message que vous aimeriez adresser à nos membres ?

Premièrement, la Belgique est une économie de service et le Rwanda le devient de plus en plus. Etant une jeune économie, le marché rwandais pourrait gagner de l’expérience belge dans ce secteur et la Belgique profiter des opportunités disponibles. Par exemple, le secteur des TIC connaît une croissance annuelle moyenne de 11 % depuis 2006, et ce marché devrait représenter $5 Milliards d’ici 2025. Cette année une entreprise belge, ZoraBots, a établi sa branche africaine à Kigali et nous espérons que cela encouragera de’autres entreprises belges à suivre cet exemple.

Deuxièmement, la petite taille de notre marché est parfois perçue comme un frein à investir au Rwanda. Mais à l’instar de la Belgique, nous avons su faire de notre positionnement géographique un avantage. En effet grâce à nos efforts d’intégration dans les différents groupes économique régionaux qui nous entourent et notre rôle dans la mise en œuvre de la Zone de Libre Echange Continental Africaine, investir au Rwanda permet d’accéder à un marché de plus 80 millions d’habitants pour les pays limitrophes et à l’ensemble du marché africain, qui représente 1,2 milliards de personnes.
Nos investissements dans Rwandair, notre compagnie aérienne nationale, nous a rendus de plus en plus connectés au niveau mondial, dont 19 destinations en Afrique. En d’autres termes, nous sommes une porte d’entrée vers l’Afrique sûre, stable et dotée d’avantages logistiques importants.

7. Spécial Covid-19 : Comment décririez-vous la lutte menée contre le Covid-19 par le Rwanda ? 

En trois mots : l’anticipation, le respect strict des recommandations de l’OMS et notre innovation. 

Fort de l’expérience acquise lors de la dernière crise Ebola en 2018, le Rwanda a rapidement compris qu’il ne pouvait compter que sur une approche correctement coordonnée et multisectorielle. Face au COVID-19,
un comité national de crise présidé par le Premier ministre a été mis en place dès le 9 mars 2020 afin de coordonner la mise en œuvre d’un plan de préparation et de réponse avant même que le Rwanda ne connaisse son premier cas.

Ensuite, la priorité du Rwanda a été de protéger sa population en fermant ses frontières et en mettant en place un confinement complet à partir du 26 mars. Les recommandations de l’OMS concernant le respect des gestes barrières et lors de la détection des cas (testing, tracing et isolation) ont été scrupuleusement appliquées. Grâce à une communication efficace, la participation de la population dans la lutte a été d’une grande efficacité.

Enfin, le Rwanda a fait preuve d’imagination en recourant à des solutions innovantes. Ainsi des robots humanoïdes, de la firme belge Zorabots, ont été utilisés dans les centres de traitements pour contrôler la température des patients afin de minimiser les risques d’infections des travailleurs de la santé.
Ils sont à présent déployés à l’aéroport de Kigali pour contrôler les passagers en provenance de l’étranger. D’autres exemples sont la généralisation des paiements électroniques, l’utilisation des drones pour diffuser des messages de sensibilisation dans les quartiers éloignés (isolés) ou encore la diffusion des messages d’informations à la radio ou par visioconférence. Enfin, les entreprises locales ont pris en charge la production de masques médicaux jetables et Rwandair s’est convertie dans le transport de marchandises.   

La combinaison de ces trois facteurs fait que sur près de 500 000 personnes testées, nous n’avons pas encore atteint le cap des 5000 cas. Nous comptons un taux de rétablissement de 61 % et ne comptabilisons que 23 décès.

8. Quels supports ont été mis en place pour les investisseurs belges ?

Afin d’atténuer les effets économiques du Covid-19 sur les entreprises locales et étrangères, dont belges, le Rwanda a mis en place un Fonds de Relance Economique (FER) doté d’une enveloppe globale de 100 milliards de francs rwandais (107 millions $).

Ce fonds est un mécanisme de deux ans mis en place dans la foulée du déconfinement (juin 2020) avec pour objectif de relancer l’activité commerciale et de sauvegarder l’emploi afin d’accélérer la reprise de l’économie. Les secteurs d’activité tels que l’hôtellerie, la fabrication (agroalimentaire), le transport et la logistique ont été les premiers bénéficiaires. Ce financement a par ailleurs visé à soutenir la production nationale de produits essentiels tels que les masques, gants et désinfectants.

De ce fait, nous avons constaté des signes de reprise économique depuis le déconfinement, et encore plus depuis la réouverture des frontières aériennes le 1 août dernier. Après les croissances négatives d’avril et mai, les mois suivants ont connu une croissance positive de 8,4 points de l’indice composite des activités économiques. Cela nous donne l’espoir qu’avec l’ouverture de l’économie, l’activité économique reviendra aux performances d’avant la crise du Covid-19. Malgré les difficultés rencontrées par l’industrie de l’accueil et du tourisme, les tendances du commerce et de l’industrie manufacturière se redressent. L’économie se redressera au cours des troisième et quatrième trimestres.