Approcher les industries extractives en Afrique : un exercice d’équilibriste

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L’Afrique est la plus grande réserve mondiale de bauxite, de manganèse, de phosphate, de platine, de cobalt, entre autres. Second producteur mondial d’or, elle contient 40% de l’or présent sur la planète…

Les entreprises ne sont cependant pas si nombreuses à s’intéresser à l’exploration, voire à l’exploitation de mines et carrières en Afrique. Leur réticence provient essentiellement du rideau de brouillard entourant le secteur extractif et accentuant la sensation de risque majeur encouru.

Nous rappellerons tout d’abord que l’investissement étranger peut être sécurisé (cfr. une précédente contribution de l’auteur dans la présente revue).
La présente contribution se limite à deux axes principaux de la méthode à suivre : déterminer le régime juridique applicable, évaluer l’imposition résultant de l’activité extractive.

Détermination du régime juridique applicable

Les codes miniers nationaux et les fiscalités nationales évoluent régulièrement. Les Etats cherchent à maîtriser le profit qu’ils entendent retirer de la rente minière tout en ne pénalisant pas les investisseurs, ce qui les conduit à des arbitrages réguliers provoquant des modifications législatives tout en maintenant la validité des anciens régimes légaux par l’insertion de clause de stabilité.

En outre, des conventions sont généralement signées entre l’Etat et le concessionnaire. Validées par le Parlement, elles régissent alors une mine ou carrière pour plusieurs décennies.

Des dispositifs supranationaux doivent en outre être pris en compte, tels le règlement UEMOA de 2003 constituant un Code minier communautaire analysé rétrospectivement comme trop favorable et auquel les Etats membres ont décidé progressivement de déroger.

Tout ceci conduit à une coexistence habituelle de plusieurs régimes juridiques et fiscaux contradictoires dans une même région, voire sur une même mine ou carrière. Retrouver le régime juridique applicable et sa durée de validité est donc un prérequis.

Détermination des impôts applicables

Une fois connues les dispositions légales applicables, l’imposition à appliquer peut être déterminée, qui schématiquement variera selon l’activité conduite (exploration / exploitation).

Au stade de l’exploration devant conduire à une décision de faisabilité du projet extractif, de nombreux dispositifs d’exonération existent, qui ne profitent souvent qu’à une société locale. L’incorporation d’une société locale et son insertion dans un groupe de sociétés devra donc s’opérer soigneusement pour pouvoir profiter des exonérations, tout en bénéficiant des traités de protection des investissements et des conventions de non double imposition. Sans oublier qu’au moment du passage à l’activité d’exploitation, se posera souvent la question de la cessibilité totale ou partielle du permis, et donc de l’imposition de la plus-value en découlant.

Au stade de l’exploration, l’activité ne génère en principe pas de revenus, les titulaires de permis sont en phase d’investissement. Il faut vérifier néanmoins qu’aucun impôt minimum forfaitaire ne soit levé même en l’absence de chiffre d’affaires (Burkina Faso par exemple).
Il en sera de même en ce qui concerne la patente, encore relativement répandue sur le continent africain (Guinée ou RDC par exemple).

Il sera crucial de s’assurer d’un régime douanier suspensif applicable aux intrants, ou à tout le moins d’un tarif préférentiel, et d’une exonération TVA aussi complète que possible, incluant de préférence les prestations de services, comme au Burkina Faso par exemple (les carburants restant généralement exclus des biens exonérés).

Les droits fixes et les redevances superficiaires doivent être bien connues et maîtrisées, pouvant augmenter à chaque renouvellement du titre.

Lorsque l’exploration est terminée, le titulaire du permis bénéficie généralement d’un droit exclusif à lever l’option tendant à obtenir un permis ou autorisation d’exploiter. La phase d’exploitation est synonyme d’un encaissement de revenus, et donc de fiscalisation de ceux-ci au taux normal ou au taux spécifique du secteur minier, ce sous réserve du bénéfice d’un congé fiscal consistant en une prolongation de l’exonération obtenue ou acquise pendant la phase d’exploration. A ce propos, il est important de vérifier la période pendant laquelle la clause de stabilité garantit l’absence de remise en cause du régime fiscal obtenu : 10 ans (Congo-K), 15 ans (Guinée / Ghana), voire davantage (la durée du permis d’exploitation, Burkina Faso / Côte d’Ivoire).
Il faut en outre vérifier si la clause a seulement pour but de geler la situation en ce qui concerne les avantages acquis, ou si elle permet aussi de profiter de l’application immédiate des dispositifs fiscaux et douaniers avantageux introduits ultérieurement (Madagascar / Afrique du Sud).

Il faut aussi veiller à décomposer tous les impôts probables, dont notamment l’impôt sur la rente qui existe dans quatre pays africains, l’éventuelle retenue à la source sur les rémunérations vers les prestataires de services non locaux, et avoir égard aux redevances, même si les redevances minières ne sont pas classifiées comme des impôts au sens de la classification OCDE (l’article 14 de la classification OCDE des impôts stipule que « les redevances versées pour obtenir le droit (…) de mettre en valeur d’autres ressources minérales sont considérées normalement comme des recettes non fiscales car il s’agit de revenus immobiliers procurés par des terres ou des ressources appartenant à l’Etat »).
Les redevances sont basées sur le prix FOB des minerais exportés (ce qui permet d’exclure de la base de calcul le coût du transport ou de l’assurance), ou sur la valeur « carreau-mine » (fonction du poids, de la teneur du minerai, et autres facteurs), et peuvent aussi être réduites par des dispositifs d’encouragement à transformer les minerais sur place.

Il faut enfin vérifier si le bénéfice des exonérations est acquis aux sous-traitants du titulaire de permis, par Code minier local lui-même, comme ce peut être le cas en Guinée ou en Mauritanie.

 

Conclusion

Ce rapide survol permet de constater que l’investissement dans une industrie extractive n’est pas chose aisée, notamment en Afrique. Toutefois, une fois la méthode installée, le maquis des réglementations devient lisible, et la structuration de l’investissement permet de générer des activités locales durables et profitables.

 

Xavier HUBERLAND
Avocat au Barreau de Bruges
KYC_LAWYERS
www.kyclawyers.com