Dans un précédent article, nous avions abordé les mécaniques de protection des investissements à l’étranger tirées des conventions et des traités internationaux. Ce qui nous avait permis d’effleurer le sujet des conventions préventives de double imposition. Les conventions préventives de double imposition sont des conventions fiscales conclues entre deux Etats, qui règlent les situations pouvant survenir notamment entre sociétés résidentes de chacun des pays signataires lors du paiement de redevances, intérêts, dividendes, tantièmes etc.
A l’occasion de la présente contribution, nous souhaitons évoquer l’évolution des constructions utilisées par les praticiens lors de l’utilisation de ces conventions préventives de double imposition, au regard des initiatives sévères préconisées par l’OCDE afin de limiter l’utilisation abusive desdites conventions : il s’agit principalement de l’initiative BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») qui regroupe plus d’une centaine de pays afin d’implémenter les règles empêchant les stratégies fiscales exploitant les conventions fiscales pour « détourner » les bénéfices d’une entreprise vers des pays à fiscalité avantageuse dans lesquels l’entreprise n’a pourtant pas le cœur de son activité.
Les premières victimes connues de l’initiative BEPS sont Apple, Google, Starbucks, ayant dévié d’importantes sources de revenus vers des filiales aux Bermudes ou autres, par utilisation des conventions préventives de double imposition. Ainsi, certains types de revenus (redevances par ex.) ont été transférés sans frottement fiscal vers des filiales/sœurs qui ont ayant une activité réelle extrêmement limitée (et conduites, dans le meilleur des cas, par un ou quelques employés, quand ce n’est pas une fiduciaire).
Il faut bien constater l’utilisation encore anormalement fréquente en Afrique de sociétés off-shore, véritables coquilles vides, immatriculées dans les pays communément dénommés « paradis fiscaux ». Outre que cette utilisation pénalise les économies locales et porte en son sein les germes de la corruption, elle s’inscrit en totale contradiction avec les bonnes pratiques fiscales contemporaines, et constitue un risque majeur pour l’entreprise, ses dirigeants et ses conseillers. Elle handicape enfin les processus de transmissions/acquisitions.
Nous pensons utile de rappeler les principes de base de la fiscalité internationale.
La résidence fiscale est un concept distinct du domicile légal : un individu officiellement inscrit dans les registres de la population d’un pays X n’est pas pour autant résident fiscal de ce pays. Même si dans la majorité des cas, la résidence fiscale est localisée au lieu du domicile, la résidence fiscale dépend de plusieurs facteurs, qui sont généralement repris par les conventions préventives de double imposition :
- lieu de résidence du foyer conjugal/familial (lieu où l’épouse ou la compagne réside avec les enfants, où ceux-ci sont inscrits à l’école, etc),
- lieu où l’individu séjourne plus de 183 jours par an,
- autres facteurs complémentaires.
Le résident fiscal d’un pays X peut créer une société commerciale dans un pays Y différent de celui de sa résidence fiscale personnelle. Ce faisant, un véhicule distinct est constitué, qui est en principe taxé dans le pays où il est enregistré et immatriculé, et ce sur ses revenus mondiaux. Sauf que, dans certains pays, la taxation ne frappe que les revenus tirés d’une activité exercée dans le pays (« on shore ») : les revenus générés hors du territoire d’immatriculation de la société (« off-shore ») sont exonérés. Ainsi fonctionnent ce que l’on appelle rapidement les « paradis fiscaux ». Et, par le jeu de conventions préventives de double imposition, ces revenus remontent sans incidence fiscale vers une holding « normalement » imposée où ils se trouvent exonérés.
Les autorités fiscales attaquaient ces montages en tentant de prouver que la constitution d’une de la société était simulée, qu’elle n’avait été constituée par un résident fiscal d’un pays X que dans le seul objectif d’échapper à une imposition dans ce pays X, et ainsi le rattachement d’une société commerciale au pays de son immatriculation était remis en cause et un rapatriement des bénéfices vers le pays de résidence X était tenté.
Aujourd’hui, les autorités fiscales utilisent de plus en plus l’article 5.1 des conventions préventives de double imposition qui permet de recourir au concept d’« établissement permanent » (le lieu d’où l’activité d’une entreprise est exercé partiellement ou totalement). La BEPS a posé également un critère de rattachement fonction du lieu de management effectif (« place of effective management ») : le lieu où se tiennent les réunions des administrateurs actifs (« location of the company’s board of directors »),…
La constitution par un résident fiscal d’un pays X d’une société dans un pays Y implique qu’il y ait une prise de conscience de l’effectivité des 15 points d’actions repris en détail dans le rapport de plus de 1.600 pages publié par l’OCDE en octobre 2015 suite à l’adoption du programme BEPS par le G20 en septembre 2013 à St Petersbourg. Ces points d’actions sont la réalité d’aujourd’hui, sinon de demain.
Certes, une société commerciale doit avoir une réalité, une consistance : une coquille vide installée dans un espace « boîte aux lettres » est une fiction contestable, susceptible au demeurant de relever du droit pénal (cfr l’affaire Mossack Fonseca). Mais au-delà, il est essentiel de prendre conscience que sont pareillement mis en cause les véhicules sous-dimensionnés par rapport au groupe de sociétés dont ils font partie, et qui pourtant drainent une partie substantielle des bénéfices de ce groupe sans incidence fiscale ou avec un incidence fiscale particulièrement avantageuse par le jeu des conventions préventives de double imposition.
Le maniement des sociétés commerciales dans d’autres pays que le pays de résidence de l’actionnaire principal et/ou du bénéficiaire économique est donc à réaliser avec une extrême prudence. L’utilisation des conventions préventives de double imposition permet de dégager des solutions fiscalement intéressantes.
A titre d’exemples, l’investissement au Ghana via une holding belge, l’investissement en Ethiopie via l’île Maurice et la Tunisie, l’investissement au Liban via la Tunisie. Et ainsi de suite.
Mais chaque structure doit s’intégrer dans le groupe dont elle fait partie, comme un élément du projet économique global et non comme un élément d’un puzzle purement fiscal.
L’avenir est très incertain pour les promoteurs de structures d’inspiration et à vocation purement fiscales.
Xavier HUBERLAND, avocat au Barreau de Bruges
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