Le continent africain suscite l’intérêt des investisseurs en raison des retours élevés sur investissement qui y sont attendus, conséquence directe estimée naturelle au regard de l’importance du risque généralement mis en évidence (instabilité politique, corruption importante, modestie des infrastructures, cadre légal insuffisant).
Comme exposé dans une contribution précédente, le souhait de diminuer le risque de l’investisseur étranger a conduit les Etats africains à signer des Conventions de non double imposition et à adhérer aux Traités Bilatéraux ou Multilatéraux de Protection des Investissements Etrangers. Toutefois, des voix se sont faites entendre au niveau des Etats Africains pour que cesse cette pratique, pour que démarrent des renégociations, voire que les Traités soient dénoncés, au motif qu’ils profiteraient largement aux pays des investisseurs étrangers, et non aux économies locales où les investissements interviennent.
L’Afrique du Sud a dénoncé purement et simplement l’ensemble des Traités de Protection des Investissements Etrangers auxquels le pays avait adhéré. Le Sénégal a dénoncé sa Convention de non double imposition avec l’Ile Maurice, suivie plus récemment par la Zambie, considérant que l’utilisation de la Convention de non double imposition permettait de « siphonner » les revenus provenant des activités locales vers des entités fiscalement plus favorables. D’autres pays africains ne souhaitent plus appliquer, et leurs Administrations fiscales n’appliquent plus, les conventions de non double imposition particulièrement favorables au pays de résidence de l’investisseur étranger (ou au pays choisi par l’investisseur étranger comme « canal » de ses investissements), parce qu’elles se considèrent privées de leur droit de taxer « normalement » les activités économiques pratiquées sur leur territoire. Le Ghana s’interroge sur la ratification de certains Traités, notamment avec l’île Maurice.
Malgré la modification à neuf reprises déjà du modèle OCDE servant généralement de base aux Conventions de non double imposition, il reste que le modèle reste empreint du concept de taxation basé sur la résidence (residence based taxation) et non sur la localisation de l’activité économique (source-based taxation) : le pouvoir d’imposition ne revient donc pas au pays où le revenu est créé (là où l’investisseur investit), le pouvoir d’imposition revient au pays de l’investisseur.
Ceci n’est pas de nature à poser de difficultés quelconques d’équilibre entre Etats contractants, lorsque ceux-ci se trouvent en situation de richesse plutôt similaire et que les flux d’investissements sont globalement réciproques, mais ce régime de taxation provoque une asymétrie considérée comme injuste lorsque l’un des deux Etats contractants est un pays dit « émergent » et que les flux d’investissement sont plutôt unilatéraux, puisque le pays émergent voit ses possibilités d’imposition inexistantes ou réduites fortement par le jeu des Conventions de non double imposition signées.
Un modèle a été établi par l’ONU de façon à rencontrer les préoccupations des pays émergents dans le cadre des négociations relatives à la signature de Conventions de non double imposition. Toutefois, selon une étude de l’International Bureau of Fiscal Documentation (IBFD) portant sur 1800 Traités de 1997 à 2013, il faut constater que les clauses ONU ne sont choisies que très rarement (moins de 20 % pour une douzaine de leurs clauses).
Aussi, l’utilisation des Conventions de non double imposition est jugée abusive (« treaty shopping »). La Zambie a utilisé un cas d’espèce pour fonder sa critique sévère de l’utilisation des Traités par les investisseurs au détriment du pays hôte de l’investissement. Les investisseurs de la Zambia Sugar PLC Associated British Food avaient utilisé une structure irlandaise, une structure néerlandaise, et une structure mauricienne pour « siphonner » les revenus tirés de l’activité : des « management fees » payés vers une des entités sans employés ni bureau réel, un prêt de 70M $ re-routé vers l’Irlande pour éviter un précompte à la source sur les intérêts payés à partir de la Zambie, et des flux organisés pour éviter tout précompte à la remontée : selon la Zambie, ces mécanismes l’ont privée de plus de 7 millions de dollars d’imposition entre 2007 et 2014. A l’échelle du continent africain, l’on parle de plus de 70 milliards de dollars d’impôts non encaissés du fait de ces mécanismes de « treaty-shopping ».
Les réponses à ces critiques sont bien connues.
La perception d’un impôt supplémentaire n’est pas nécessairement la raison première pour laquelle un pays émergent signe une Convention de non double imposition. Etre Partie à une telle Convention est une façon d’inscrire son nom sur la liste des Etats présumés organisés pour recevoir des investisseurs étrangers. Etre Partie à une telle Convention permet de favoriser l’arrivée d’entrepreneurs, qui soutiendront l’économie locale par leur consommation, l’embauche locale, etc.
Bref, le débat est lancé, et devrait faire l’objet d’un échange non émotionnel ni partisan, de manière à permettre aux Etats émergents et non émergents d’évoluer vers une compréhension mutuelle basée sur une analyse factuelle probante.
Deux questions centrales doivent être répondues dans ce débat. La première consiste à s’interroger sur la réalité de l’augmentation des investissements étrangers dans un pays émergent, comme résultante de la signature par ce pays d’une Convention de non double imposition. La seconde question pose la mesure du caractère indispensable pour l’investisseur étranger de l’existence d’une convention de non double imposition dans le pays de localisation de l’investissement.
La présente contribution portera sur la première question.
Est-ce que le montant des investissements étrangers augmente dans un pays africain lorsque ce pays pratique la signature et la ratification de Conventions de non double imposition ?
Plusieurs études de l’économiste BLONIGEN réalisées sur des périodes courant de 1966 à 2010, dont les dernières l’ont été avec l’assistance de l’économiste DAVIS, ont eu des conclusions divergentes quant à l’impact des Conventions de non double imposition sur les flux entrants d’investissements étrangers dans les pays dits émergents. Certaines études concluront à un impact positif, d’autres aboutiront au résultat inverse.
Selon les recherches du Professeur DAGAN, les Conventions de non double imposition impliquant des pays émergents conduisent ces pays à être privés de leur pouvoir de taxation, au profit des pays de résidence des investisseurs étrangers.
L’on constate bien la difficulté d’obtenir une réponse claire et sans nuance. L’étude concluant en 2018 les recherches des économistes Jan LOEPRICK et Sebastian BEER pour le Fonds Monétaire International confirme cette difficulté d’aboutir à une conclusion univoque. Ayant étudié l’impact des Conventions de non double imposition conclues entre les hubs d’investissement et 41 pays africains, les économistes concluent qu’aucun investissement étranger additionnel n’a pu être observé après l’entrée en vigueur du Traité. Tout en constatant pour autant qu’une perte non négligeable de revenus en résultait pour les pays où l’investissement avait eu lieu.
Le confinement ayant offert au rédacteur de la présente contribution le loisir d’accompagner des étudiants intéressés par la mesure quantifiable aussi scientifiquement que possible de l’impact des Conventions de non double imposition sur les investissements étrangers en Afrique, il a été examiné l’impact des flux entrants d’investissements étrangers en Afrique du Sud, en Zambie, en Namibie et au Zimbabwe, consécutivement à l’entrée en vigueur de leur Convention de non double imposition avec l’île Maurice. Les données et informations utilisées ont été celles de la Banque Mondiale et de l’Economic Development Board de l’île Maurice, et le modèle statistique choisi l’a été sur base de différentes formules statistiques.
La première conclusion est que l’impact
des Conventions de non double imposition conclues par l’île Maurice avec l’Afrique du Sud (1998), la Namibie (1996) et le Zimbabwe (1992) a été positif sur les flux entrants d’investissements étrangers dans ces trois pays. La Zambie n’est quant à elle pas impactée, peut-être en raison de ce que le Traité était plus récent (2012), toujours est-il qu’il vient d’être dénoncé par la Zambie…
La seconde conclusion répond à la question de savoir si les revenus d’imposition dans ces quatre pays avaient été impactés,
et si oui comment, par l’entrée en vigueur de leur Convention de non double imposition avec l’île Maurice. La conclusion est que les revenus d’imposition en Afrique du Sud ainsi qu’en Namibie ont été impactés positivement. Aucun impact n’a été relevé en Zambie. Le manque de données suffisantes au Zimbabwe n’a pu permettre de tirer une conclusion fiable.
Enfin, l’analyse du treaty shopping, complexe de par la multiplicité des clauses en jeu, a retenu le modèle qui semblait le plus logique : étudier les flux entrants et sortants des investissements étrangers sur l’île Maurice en relation avec les quatre pays examinés.
Il a pu être observé que les investissements étrangers ont augmenté, et que les revenus d’imposition de l’île Maurice ont diminué. Cette diminution peut résulter de deux facteurs principaux : d’une part l’utilisation de sociétés mauriciennes comme canal d’investissement pur et simple (les fonds transitant au travers des structures mauriciennes à l’aller et au retour, sans imposition ou presque), et d’autre part certains régimes d’imposition particulièrement favorable pratiqués par l’île Maurice.
Les affirmations selon lesquelles l’entrée en vigueur de Conventions de non double imposition dans les pays émergents entraînent une augmentation des investissements étrangers dans ces pays et une diminution des revenus d’imposition par ces mêmes pays ne peuvent donc pas être aveuglément acceptées.
Les résultats provenant de l’analyse statistique des données disponibles pour l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe en relation avec l’île Maurice prouvent majoritairement le contraire. Ils confirment toutefois que la Zambie ne s’est pas trouvée positivement impactée par l’entrée en vigueur de la Convention de non double imposition avec l’île Maurice.
Les résultats obtenus nous confortent toutefois dans la pensée que le débat ne pourra se résoudre à coup de dénonciations brutales des Conventions, mais dans le respect d’un équilibre à trouver entre les intérêts bien compris des autorités soucieuses de recueillir une imposition sur l’activité locale de l’investisseur, et les préoccupations de l’investisseur soucieux d’un retour sur investissement acceptable.