INTERVIEW DE S.E. GEORGES CHIKOTI, AMBASSADEUR DE L'ANGOLA AUPRÈS DE LA BELGIQUE, DU LUXEMBOURG ET DE LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE

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CBL-ACP : Excellence, vous avez été ministre des Affaires étrangères durant 7 années (2010 – 2017) et vous êtes depuis mai 2018 ambassadeur d’Angola à Bruxelles. Votre regard sur notre pays a-t-il changé ?

GC : En tant que ministre, j’étais responsable de 72 ambassades et représentations consulaires à travers le monde. Je ne pouvais naturellement pas appréhender les choses en profondeur pour chaque pays. C’était le cas pour la Belgique. Depuis mon entrée en fonction, je me suis rendu compte que nos relations bilatérales avaient pris un certain retard. Notre accord de coopération date de 1983 et il me semble que nous sommes passés à côté de réelles possibilités de collaboration. Certes, le commerce du diamant demeure un socle important des relations entre nos deux pays, mais le potentiel est beaucoup plus vaste. Les entrepreneurs belges sont dynamiques et nous devons pouvoir bénéficier de leur expertise.

CBL-ACP : Avez-vous déjà pu cerner ce potentiel ?

GC : Suite à la visite officielle du président João Lourenço en Belgique en juin 2018, nous avons pu intensifier nos discussions avec le port d’Anvers et l’Institut de médecine tropicale qui peuvent nous apporter un savoir-faire et une expérience appréciables.
J’ai également noué des contacts avec la faculté agronomique de Gembloux avec qui nous devrions développer des accords en matière de formation. J’ai récemment visité la ville de Liège qui offre pas mal de possibilités au niveau technologique. Je me rends compte que nous aurions pu mieux faire et qu’il est maintenant essentiel de rattraper ce retard.

CBL-ACP : Ne pensez-vous pas que l’approche de votre nouveau président et son dynamisme expliquent bien des choses ?

GC : Vous avez raison. Dès son accession à la présidence, João Lourenço a posé des actes importants en matière de relations internationales et il a témoigné de l’ouverture de l’Angola et de son souhait de recevoir des investissements de pays qui n’étaient peut-être pas des partenaires privilégiés dans le passé. Ma nomination à Bruxelles est également une manifestation de cette nouvelle approche.

CBL-ACP : La volonté de combattre la corruption affichée par votre président a sans doute facilité l’accueil fait à cette politique d’ouverture.

GC : La corruption a sans conteste été une des grandes faiblesses de notre système politique depuis une quarantaine d’années. Ce fléau rouillait non seulement la machine d’État, mais il servait également de repoussoir pour l’investissement d’un certain nombre de pays. Le président a fait en sorte que les tribunaux puissent faire leur travail. C’est un signe fort pour les Angolais, mais aussi pour les investisseurs étrangers.

CBL-ACP : Traditionnellement, nos relations bilatérales reposaient sur deux piliers : la coopération diplomatique dans la région et le commerce du diamant. Qu’est-ce qui a changé pour nos diamantaires d’Anvers ?

GC : Le marché du diamant a été nettoyé. Cette opération a permis d’éliminer tous ceux qui l’exploitaient illégalement. C’est important dans la mesure où dans le passé une partie du diamant angolais était détourné et que le produit de la vente ne revenait pas dans le pays. La réglementation a été renforcée et deux cents nouvelles licences sont en cours d’émission. La remise en ordre du marché est un acquis en soi et un facteur de stabilité qui va bénéficier à la place d’Anvers.

CBL-ACP : Quant au second pilier, il s’agit de la coopération diplomatique. La RDC, est-ce un sujet qui divise ou qui rapproche ?

GC : La RDC nous rapproche dans la mesure où nous partageons la même volonté de stabilité, également présente au niveau de la région des Grands Lacs. L’envoyé spécial de la Belgique au sein de cette organisation nous visite régulièrement afin d’évaluer la situation. C’est très important.

CBL-ACP : Lors de la visite officielle de notre ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, en septembre dernier, il a été décidé de mettre sur pied une Commission mixte. Elle devrait se réunir pour la première fois cette année. Qu’attendez-vous de cette commission ?

GC : Nous voulons passer le plus rapidement possible à une nouvelle étape de nos relations et actualiser l’accord existant. Un certain nombre de documents doivent être signés dès que la Belgique sera dotée d’un gouvernement. Nous devons étendre notre collaboration à de nouveaux domaines : la formation de nos cadres, de nos militaires, la coopération universitaire… Et au-delà, il faut que le secteur privé soit associé. Les réunions de la Commission mixte devraient permettre à vos hommes d’affaires d’être mieux informés sur ce qui se passe en Angola, sur les nouveaux règlements et les nouvelles opportunités.

CBL-ACP : À cet égard, ne croyez-vous pas qu’un effort d’information devrait être fait du côté angolais ?

GC : Absolument. Un échange d’informations est indispensable et la CBL-ACP a sans doute un rôle à jouer en ce domaine. Il est aussi important que les difficultés rencontrées par vos entrepreneurs soient portées à notre connaissance afin que nous puissions y remédier.

CBL-ACP : À ce niveau, vous devez être conscient que l’environnement des affaires reste encore « compliqué » ?

GC : C’est ce que je comprends de mes différents contacts. Il demeure un écart entre ce qui est dit et ce qui se pratique. Cela ne me satisfait pas et cela doit changer. En ma qualité d’ambassadeur, j’explique au candidat-investisseur ce qu’il est susceptible de trouver dans notre pays et, si ce n’est pas le cas, c’est ma parole qui est en cause. La formation et l’éducation sont importantes afin de combler cet écart.

CBL-ACP : Parmi les « problèmes » régulièrement cités par nos hommes d’affaires figure la question de l’obtention des visas. Quelle est la situation actuelle ?

GC : Le processus est en pleine restructuration afin d’en améliorer l’efficacité et la rapidité. Je pense que la situation s’est nettement améliorée pour l’octroi des visas pour un court séjour. Le problème demeure pour les visas d’une plus longue période pour des entrepreneurs ayant des affaires en Angola. Dans ce cas, notre consulat ne peut délivrer le visa qu’après avoir reçu le feu vert de notre ministère de l’Intérieur. Et cela peut prendre du temps.

CBL-ACP : Vous représentez également votre pays auprès du Grand-Duché de Luxembourg. Quelles sont vos relations actuelles ?

GC : Je me suis rendu compte que ces relations n’avaient pas été suffisamment explorées. C’est la raison pour laquelle je me suis rendu à Luxembourg tout récemment afin de rencontrer les autorités locales.
Nous avons également une communauté angolaise relativement nombreuse dans ce pays. Il est important d’être à son écoute et de s’assurer de sa parfaite insertion dans la société luxembourgeoise. Il y a sept ans, le ministre de l’Économie grand-ducale s’était rendu en Angola. Mais c’était à une époque de pleine expansion. Le Luxembourg a des atouts notamment dans les télécommunications et les technologies de pointe. C’est aussi un pays où siègent des organisations financières susceptibles d’investir en Angola. Nous devons exploiter ces opportunités. Je compte y retourner en septembre, car il m’importe de signer des accords de coopération.

CBL-ACP : Les relations avec l’ Union européenne figurent également dans vos attributions. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

GC : En mars dernier s’est tenue à Luanda la quatrième réunion du « EU-Angola Joint Way Forward ». Nous avons pu apprécier la nouvelle approche européenne à notre égard. Quatre accords de coopération ont été signés pour quelque 122 millions d’euros. Parallèlement, un séminaire a été organisé concernant les possibilités de financements européens. Très utile. La Banque européenne d’investissement (BEI) dispose également de larges moyens afin de soutenir l’économie durable. Elle est actuellement à la recherche d’une institution financière locale susceptible d’être son relais dans l’octroi des prêts. Dès que celle-ci aura été sélectionnée, je ne doute pas de l’importance des financements qui seront consentis.

S.E. Georges Chikoti, Ambassadeur de l’Angola auprès de la Belgique, du Luxembourg et de la Communauté européenne