Il n’y a pas longtemps le message était clair : l’Afrique d’une manière générale connaîtrait une croissance soutenue, sa population jeune serait un gage pour un futur prometteur, la technologie lui permettrait de brûler les étapes du développement, ses terres arables encore grandement disponibles nourriraient le monde de demain et une classe moyenne synonyme de prospérité était en passe de s’y développer.
La chose semblait pour beaucoup tellement évidente que pour définir ce qui deviendrait la nouvelle trajectoire de l’Afrique
subsaharienne le terme « émergence » était venu remplacer le mot « développement » aujourd’hui complètement obsolète.
Il s’emblait aller de soi que cette partie de l’Afrique allait
inévitablement attirer des investisseurs grâce auxquels ladite émergence annoncée deviendrait réalité et était ainsi définie une nouvelle frontière à franchir pour l’économie mondiale et le nouveau (et dernier !) grand marché à développer.
Mais le nouveau concept d’émergence résume-t-il vraiment la trajectoire de l’Afrique depuis le début du XXIe siècle alors que les bienfaits de la globalisation sont de plus en plus mis en doute et que des centaines de milliers d’Africains fuient le continent au péril de leur vie ?
Car force est de constater que depuis la dernière crise des matières premières de 2014 la réalité du Continent a fortement évolué.
Globalement sa croissance s’est ralentie, son endettement public s’est dangereusement accentué, les recettes budgétaires des Etats se sont volatilisées et l’industrialisation est devenue stagnante.
Si on y ajoute que le système bancaire y est de plus en plus déficient il est facile de comprendre pourquoi les investisseurs attendus renâclent, les élites locales font fuir leurs capitaux et le tout rend l’idée de l’émergence africaine caduque.
Pourtant l’enjeu n’est pas anodin car le discours sur l’émergence en Afrique sert aujourd’hui encore et toujours de légitimation à bon nombre d’autorités en place qui s’appuient sur le concept pour justifier leur pérennité.
Ceci étant dit, ne nous laissons surtout pas duper par la tyrannie des moyennes.
Plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne ont encore une croissance bien réelle (surtout les économies agraires) et même si certains autres ont vu leur produit intérieur brut considérablement se réduire suite à la baisse des cours des matières
premières (surtout les producteurs de pétrole) ou encore à cause de conflits locaux, le centre de gravité économique mondial se déplace lentement mais inexorablement vers l’Afrique.
Pour s’en rendre compte il n’y a qu’à voir comment des pays comme la Chine, l’Inde et la Turquie persuadés que l’avenir du monde s’y joue et que la rentabilité des investissements y est la plus élevée, s’intéressent à cette partie du monde et l’envahissent économiquement.
Et c’est là que se situe la face cachée de cette émergence.
Il y a d’abord une Afrique à double visage où le dynamisme économique ne se traduit pas assez dans la vie quotidienne et ensuite une fracture entre ses partenaires potentiels, ceux qui y croient et vont de l’avant, et ceux qui rechignent et qui reculent.
A l’aube d’une nouvelle année un questionnement sur le sujet s’impose. Être du côté des visionnaires et des gagnants ou non, c’est toute la question. C’est ce que je vous propose comme thème de réflexion pour 2019.
Mes meilleurs vœux pour l’an neuf !
Guy Bultynck
Chairman, CBL-ACP