S.E. M. François Cornet d’Elzius, ambassadeur de Belgique au Caire

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L’Égypte est un pays important : 106 millions d’habitants. Centre de gravité du monde arabe, tant vers le Golfe que vers le Moyen-Orient. L’Égypte exporte 4 millions d’Égyptiens, qui trouvent à s’employer dans les pays du Golfe, en Libye, et abrite des millions d’immigrés.

Culturellement, linguistiquement aussi, l’Égypte est le centre du monde arabe. Sa population nombreuse essaime dans tout le monde arabe, plus particulièrement dans les pays du Golfe et en Libye.

Économiquement, l’Égypte est probablement le pays au plus haut potentiel dans la région.  Il jouit d’un emplacement idéal à cheval sur le canal de Suez, au confluent de la Mer Rouge et de la Méditerranée. Il dispose d’une main-d’œuvre abondante et bon marché, d’un climat social et d’institutions stables, et peut compter sur la stabilité politique et sociale pour l’horizon prévisible.  Pour les entreprises belges, il s’agit d’un marché méconnu, mais intéressant :  un marché très concentré (Le Caire et la bande côtière), très proche des ports.  Il faut considérer, à côté de 90 millions de consommateurs à bas revenu, 10 millions de consommateurs solvables concentrés sur un espace restreint.

Mais la raison pour laquelle j’écris cet encart dans votre magazine, c’est un message un peu inattendu qu’en tant qu’Ambassadeur, je reçois de manière constante de tous mes interlocuteurs, tant publics que privés : l’Égypte se veut aussi puissance africaine, et voit son avenir économique en Afrique. Depuis mon arrivée en poste, il y a un an, une des affirmations que j’ai entendues le plus couramment, de la part d’un grand nombre d’acteurs économiques et politiques, y compris de tous les propriétaires des entreprises majeures que j’ai eu la possibilité de rencontrer.  L’argument principal est le suivant :

  • L’Égypte est un pays africain. Elle est reliée au continent africain par de multiples canaux. Elle fait partie de la COMESA et dispose d’avantages douaniers dont la Turquie, par exemple, ne dispose pas.
  • L’économie égyptienne est complémentaire à l’économie de nombreux pays africains. L’Égypte a entrepris, pour elle-même, un gigantesque effort d’équipement en infrastructures. Plusieurs ports (Damiette, Aïn Sokhna, Gargoub, Suez), des milliers de kilomètres d’autoroutes, des infrastructures d’épuration, etc.  Ces efforts ont été accomplis par des entreprises nationales égyptiennes, qui peuvent (et doivent !), à présent que leur investissement initial est amorti, exporter leur production à des prix avantageux.
  • La gamme des produits égyptiens, moins sophistiquée que le concurrent direct turc, est également mieux adaptée aux capacités financières des pays africains.
  • L’Égypte peut enfin, aussi bien que la Chine et sans doute à meilleur marché, envoyer de la main-d’œuvre expérimentée, des ingénieurs de bonne qualité pour mettre en œuvre ses projets.

L’Égypte est de plus en plus active sur les marchés.  A titre d’exemple, la conclusion d’un accord pour construire 150 km de routes en RDC, la construction d’un barrage hydroélectrique en Tanzanie, un projet de 2,9 milliards de dollars ; un accord préliminaire a été signé par le Ministère des postes/Telecom et TIC de la RDC avec une entreprise égyptienne pour équiper la RDC de 16 000 kilomètres de fibre optique.Le Président Al-Sissi soutient les efforts de son économie, en étant beaucoup plus actif sur l’Afrique. Ces derniers mois, plusieurs présidents de pays africains ont organisés des visites officielles en Égypte, comme le président de la RDC, en visite au Caire le 1er février et le 8 mai, le président burundais le 24 mars, …

Pourtant, pour un développement des relations commerciales à long terme, l’Égypte manque de relais économiques sur le continent africain, malgré la bonne image qu’elle a gardé de l’époque de la décolonisation et du nassérisme. La diaspora égyptienne dans les différents pays africains est numériquement faible ; les budgets d’aide au développement sont réduits, l’Égypte ayant ses propres priorités de développement –bien que de réelles coopérations existent avec l’envoi de médecins, par exemple. Le réseau aérien d’Egyptair est modeste (13 escales) ; l’Égypte ne dispose pas d’un réseau scolaire de qualité qu’elle puisse exporter. Enfin, les moyens de soutien financier à l’exportation sont limités, et le réseau bancaire égyptien, robuste en Égypte même, est faible à l’étranger, et en particulier en Afrique.

L’Égypte recherche donc des partenaires, à la fois pour l’introduire sur le marché africain, et pour compléter son offre industrielle dans certains secteurs. Des connections de ce type fonctionnent déjà avec succès ; le géant de la construction Orascom a conclu une alliance fructueuse avec BESIX, par exemple.   L’intuition de mes interlocuteurs égyptiens est donc de créer des coopérations triangulaires, associant une entreprise belge, par exemple un bureau d’ingénieurs, un cabinet d’avocats ou une banque, et des opérateurs industriels égyptiens dans le secteur de la construction, de l’équipement lourd.  La Belgique pourrait également apporter des sources de financement, privées ou publiques : pourquoi ne pas intéresser BIO au développement de ces initiatives industrielles Sud-Sud, surtout si l’on y joint un ancrage belge ?

Je reconnais que les opérations triangulaires de ce type sont difficiles à mettre en place, et la formule magique pour parvenir à du win-win-win n’a pas encore été trouvée.  Mais je ne peux que constater qu’elles jouiraient d’une belle visibilité et d’un grand soutien politique en Égypte.