UN NOUVEL ANGOLA EN CONSTRUCTION

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Dès son investiture à la présidence de la République d’Angola en août 2017, João Lourenço (« JLo ») a manifesté sa ferme volonté de jeter les bases d’un changement en profondeur de son pays, notamment au niveau économique, et de rompre avec certaines pratiques du passé. Tâche énorme s’inscrivant dans un contexte de crise financière résultant de la sévère chute du prix du pétrole intervenue en 2014. 

Le premier chantier sur lequel le nouveau président était très attendu concerne naturellement la bonne gouvernance et la lutte anticorruption. Les mesures prises, notamment celles à l’encontre des « intouchables » de l’ancien régime, ont rapidement convaincu la communauté internationale du sérieux de ses intentions. Les financements octroyés par le FMI et la Banque mondiale ainsi que l’accueil réservé à JLo dans plusieurs capitales occidentales démontrent que l’Angola est devenu « fréquentable ». Ce changement est indubitablement à porter au crédit du nouveau maître de Luanda.

La situation économique gravement affectée par la chute du prix du baril et la gestion dispendieuse des réserves monétaires lors de l’année électorale de 2017 exigeaient des mesures de stabilisation urgentes.
La plus spectaculaire a été le flottement de la devise nationale décidé en janvier 2018.
À ce moment, le cours officiel du kwanza était de 166 pour 1 €. Il est actuellement de 360, présentant encore une décote de plus de 30% par rapport au taux du marché parallèle. L’objectif des autorités monétaires serait de resserrer la marge de divergence à 20%.

La crise financière a mis à mal les réserves du pays les faisant passer de 27 milliards de dollars en 2014 à 16,3 milliards aujourd’hui. Même si elles peuvent encore couvrir quelque 6 mois d’importations, il est clair que l’érosion doit être endiguée. La Banque centrale s’y attelle en gérant au mieux les ressources, les consacrant à l’achat, coûteux, mais indispensable, des produits de base appelés cesta basica, au remboursement de la dette commerciale accumulée depuis 2014 et au règlement d’autres obligations régaliennes. L’exercice n’est pas aisé et cette crise de liquidité (affectant également la disponibilité de la devise locale) pèse actuellement sur le développement du pays.

Dans un tel contexte financier, la problématique qui se pose à l’exécutif est simple à résumer : il faut réduire les sorties de devises et en augmenter les rentrées. L’agriculture offre les meilleures possibilités de résolution de cette équation et le gouvernement en a fait sa priorité. La terre est très fertile en Angola et une exploitation raisonnée pourrait lui permettre de diminuer significativement les importations de certains produits tout en offrant des débouchés à l’extérieur pour d’autres, notamment les agrumes.
Mais pour atteindre cet objectif, le pays devra nécessairement renforcer ses capacités en matière énergétique et améliorer ses moyens logistiques.

Afin d’assurer ce développement et d’attirer les investisseurs étrangers, le pays s’est doté d’une agence pour l’investissement privé et l’exportation, l’AIPEX. Ses possibilités d’action ont été élargies par rapport aux organismes précédents et sa structure décisionnelle lui permet de statuer seule pour des investissements ne dépassant pas 50 millions de dollars. Une politique volontariste est également menée à l’égard de certains agents économiques nationaux, jugés trop frileux par rapport au développement de l’économie réelle du pays. Les banques sont les premières visées. Elles sont désormais obligées de financer des projets agroalimentaires à concurrence de 2% de leur total d’actifs, et ce, à un taux ne dépassant pas 7,5%. Il est inutile de préciser que cette mesure suscite bien des critiques, mais c’est sans doute la seule option pour que les banques deviennent de véritables piliers du redressement économique. 

Pour assurer pleinement ce rôle moteur, le secteur devra nécessaire s’assainir et se restructurer. En d’autres termes, perdre du poids et gagner du muscle. Le nombre de banques est pléthorique : 27 après la radiation de trois établissements n’ayant pu se conformer aux nouvelles exigences en matière de capitalisation. Le processus de fusion est vivement encouragé par la Banque Centrale afin de créer des établissements de taille critique suffisante. Les « stress tests » actuellement effectués par le FMI auprès de 12 banques angolaises devraient permettre d’obtenir un diagnostic précis de la santé réelle du secteur. Ils conduiront sans doute à des rapprochements salutaires et, pourquoi pas, à l’entrée d’acteurs étrangers.

Dans ce nouvel Angola en construction, le pétrole continuera naturellement à en être le moteur. Son poids actuel dans l’économie souffre de la conjonction de deux phénomènes, son cours sur les marchés internationaux et la faiblesse de la production nationale. Le premier handicap est d’ordre structurel et tout le monde s’accorde à dire que l’on ne reverra plus le baril à 100 $. Le second problème est d’une autre nature. Alors que le pays peut exporter quelque 1 481 millions de barils/jour selon les normes de l’OPEP, elle n’en extrait plus qu’à peine 1,4 million. Certains puits sont en fin de vie et les investissements indispensables à l’exploitation de nouveaux gisements, nécessitant des technologies de pointe en raison de la profondeur, n’ont pas été faits à temps. Une des premières réunions organisées par JLo après son investiture l’a été avec les représentants des majors. Le courant est bien passé et les découvertes récemment révélées par Total et Eni démontrent que les pétroliers resteront des soutiens essentiels dans l’Angola de demain, des locomotives qui assureront des financements importants dans l’activité Oil & Gas. 

À l’instar de nombreux pays subsahariens, la dette extérieure du pays a sensiblement augmenté en 2018. On l’estime à 80% du PNB pour l’État et à 85% si on y inclut les obligations de la compagnie pétrolière Sonangol et du transporteur aérien Taag. Une part significative de cette dette est due à la Chine dans le cadre de ses lignes de crédit controversées qui ont quand même permis au pays de reconstruire une partie de ses infrastructures. Certains considèrent toutefois qu’avec les fonds empruntés, on aurait pu faire plus et mieux. Ce n’est pas faux, mais en 2002, l’Angola n’avait guère le choix. Le Club de Paris ne pensait qu’au remboursement de sa créance, intérêts inclus, et le FMI conditionnait son support à un certain nombre d’exigences qu’il était bien difficile de rencontrer pour un pays qui sortait de vingt-sept ans de guerre civile. On connaît la suite.

Les Occidentaux ont très vite compris que l’arrivée de João Lourenço était de nature à rebattre les cartes dans la région et que sa volonté d’ouverture et de développement leur en donnait l’opportunité. Même s’ils ont toujours été présents dans le pays de par leurs pétroliers, les Américains ont fortement accentué leur influence. Ils ont l’oreille du président et la confrontation USA-Chine se joue également du côté de Luanda. Une autre puissance révèle de l’intérêt pour l’Angola. Il s’agit de la France, longtemps pénalisée par les conséquences de l’Angolagate. Emmanuel Macron a manifesté son souhait de sortir de son pré carré africain et de s’ouvrir à de nouvelles régions. L’Angola en fait clairement partie et les Français s’activent, tant économiquement que politiquement. Et les autres, Anglais, Allemands, Émiratis, Turcs, Japonais… ne sont pas en reste.

Les délégations commerciales qui se succèdent à Luanda n’ont plus rien à voir avec les hommes d’affaires qui s’y pressaient voici quelques années. Il ne s’agit plus de faire des « coups », mais de répondre aux immenses besoins d’un pays qui veut sortir du sous-développement, trop longtemps caché par le mirage pétrolier. Les financements et les lignes de crédit ne manquent pas, mais les investisseurs tardent à s’engager. Il est vrai que négocier l’installation d’une unité de production prend davantage de temps que finaliser un contrat d’importation. Mais en même temps, certaines sociétés demeurent perplexes par rapport à un environnement des affaires qui reste difficile. Le tourbillon Lourenço n’a pas encore atteint tous les recoins d’une administration connue pour sa lourdeur.

Le propre d’un entrepreneur est d’anticiper en tenant compte des opportunités qui se présentent, sans négliger les risques. L’Angola est un pays stable, à l’abri des troubles sociaux et des violences, offrant de multiples richesses et potentialités à exploiter (agriculture, forêts, carrières de marbre, tourisme.). Ses faiblesses et handicaps sont aussi des secteurs où il est nécessaire d’investir : l’énergie, la logistique, la santé. Sans oublier qu’en 2050, le marché angolais sera composé de 68 millions de personnes. Ce qui s’est passé en août 2017 n’est pas seulement une péripétie électorale, mais un changement profond, ouvrant de larges perspectives. Il est important que les investisseurs le comprennent, car l’Angola de demain commence déjà aujourd’hui.

DANIEL RIBANT

Administrateur à la CBL-ACP, DANIEL RIBANT a travaillé 38 ans dans le secteur bancaire, dont plus de 20 consacrées au marché angolais. Il est le président-fondateur d’une asbl, European Foundation For Angolan Promotion & Development (EFFA), la seule ONG belge active en Angola, entièrement dédiée à des projets sociaux, éducatifs et caritatifs. Il dirige également une société de consultance, AUSTRAL CONSULTING, active dans l’accompagnement de projets de développement dans ce pays. Il est par ailleurs l’auteur de deux livres parus aux éditions L’Harmattan à Paris : L’Angola de A à Z (2015) et Força Angola (2018).