Droit applicable aux ventes sur le continent Africain : Zlec, CVIM, OHADA…

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Nous assistons avec enthousiasme à l’émergence de cette zone de libre-échange continentale (ZLEC), née en mars 2018 sur les fonts baptismaux de la ville de Kigali. L’ambitieuse Déclaration de Kigali nous laisse rêver à une circulation transversale fluide des marchandises, permettant à des chaussures made in Ethiopia d’être vendues à des commerçants congolais, pendant que les wax congolais seront distribués à Libreville ou Cotonou, et ainsi de suite. Dans le même temps, se pose la question de la sécurisation juridique de ces ventes transfrontalières de marchandises au sein du continent africain.

 

OHADA ou CVIM ?

Pour rappel, la CVIM offre depuis 1980 un cadre légal uniforme à la vente internationale de marchandises intervenant entre des parties ayant leur établissement dans deux Etats contractants, ou entre parties ayant décidé contractuellement l’application de la CVIM à leur relation. La CVIM est en vigueur dans les pays africains suivants : Bénin, Burundi, Cameroun
(au 1er novembre 2018), Congo, Gabon, Ghana, Guinée, Lesotho, Libéria, Madagascar, Mauritanie, Ouganda, Zambie.

Ultérieurement, un Traité international signé le 17 octobre 1993 a institué l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) qui offre un cadre légal applicable notamment à la vente (nationale et internationale) de marchandises (Acte Uniforme sur le Droit commercial général, 5e partie).
Ce cadre a primauté sur les droits nationaux (article 10 du Traité OHADA) et est d’application directe dans le droit interne des Etats membres.

A sa conclusion, seul un pays membre de l’OHADA avait adopté la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, mais depuis, la liste des pays OHADA adhérant à la CVIM s’est allongée (Bénin, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée) et la volonté d’adhésion des pays OHADA à la CVIM s’est accentuée.

Les textes des deux Traités présentent des similitudes, notamment au niveau des dispositions relatives à la formation du contrat de vente ou aux obligations
respectives des parties (acheteur / vendeur). Mais il existe des spécificités rencontrées dans un seul des deux Traités, tels que le principe de l’autorisation préalable du Juge compétent en cas de résolution anticipée ou le champ matériel d’application plus vaste dans l’Acte Uniforme.

Et surtout, des dispositifs particuliers de l’Acte Uniforme prévoient par exemple un délai de prescription de deux ans courant à partir du jour où l’action peut être exercée en matière de vente commerciale, ou un délai de seulement un an en cas de défaut de conformité (article 229). Et ce contrairement à la CVIM.

 

 

En cas de problème, lequel des deux Traités aura donc la primauté ?

L’article 234 de l’Acte uniforme OHADA relatif au droit commercial général (AUDCG) stipule que la vente est soumise à l’Acte uniforme « dès lors que les contractants ont le siège de leur activité dans un des États parties » ou « lorsque les règles du droit international privé mènent à l’application de la loi d’un État partie ».

Si les deux parties ont chacune le siège de leur activité dans un État membre de l’OHADA et partie à la CVIM, le droit OHADA est donc applicable, mais la CVIM a également vocation à s’appliquer selon son article 1er, alinéa 1-a.

Aussi, si le droit international privé du juge saisi désigne la loi d’un État partie de l’OHADA, et que cet État partie est signataire de la CVIM, appliquera-t-il l’OHADA ou la CVIM ? La réponse est complexe, en voici deux illustrations parmi d’autres.

1. Si les parties ont toutes deux leur établissement dans des États OHADA, par exemple dans le cas d’une vente entre une partie sénégalaise et une partie ivoirienne, le droit OHADA prévaut, conformément à l’article 90 de la CVIM.

2. Si une partie est établie dans un État OHADA signataire de la CVIM et l’autre partie dans un État tiers également signataire de cette convention, l’article 90 est inapplicable. La CVIM s’applique sur base de son article 1er, alinéa 1-a, et le droit OHADA potentiellement aussi si la règle de conflit désigne la loi de l’Etat OHADA.

Le caractère autonome du dispositif de l’article 1er de la CVIM prévalant sur une règle de conflit, l’on se heurte toutefois à l’article 234, alinéa 2 de l’AUDCG qui stipule que «sauf stipulations conventionnelles contraires, le contrat de vente commerciale est soumis aux dispositions du présent Livre dès lors que les contractants ont le siège de leur activité dans un des États Parties ou lorsque les règles du droit international privé mènent à l’application de la loi d’un Etat Partie».

Le critère de la prestation caractéristique peut régler le conflit. Le droit OHADA est alors applicable si le vendeur (débiteur de la prestation caractéristique) a le siège de son activité dans un État partie de l’OHADA.

 

 

Xavier HUBERLAND
Avocat au Barreau de Bruges
KYC_LAWYERS
www.kyclawyers.com